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26 avril 2013

En Tunisie, la bataille des "Miss" défie la montée de l'intégrisme



Sara Alwani (à gauche), une jeune Tunisienne de 19 ans, a été élue Miss Carthage le 1er avril, à Tunis. Crédits photo : Nisrine Halali/AFP

Deux concours de beauté s'affrontent dans ce pays en proie au radicalisme religieux. De quoi restaurer son image, mais sans défilé en maillots de bain.
Autant lever d'emblée le suspense: non, les candidates de Miss Tunisie ne défileront pas en maillot de bain, samedi, devant les caméras de télévision. Pas plus que celles de Miss Carthage ne l'ont fait dimanche dernier à l'Acropolium, une ancienne cathédrale du XIXe siècle, dans la banlieue aisée de Tunis.
Deux concours de beauté pour un pays. On connaît cela en France, on ne l'aurait pas imaginé en Tunisie, confrontée à la montée d'un radicalisme religieux peu enclin à tolérer ce type d'événement. Le crêpage de chignon entre organisateurs se déroule en coulisses. Le discours officiel est plus policé: «Les projets parallèles me font plaisir, assure Bessem Bembli, orchestrateur de la première édition de Miss et Mister Carthage. Cela prouve que, petit à petit, on retrouve le paysage tunisien que l'on connaissait.»

Une autre image du pays

Un paysage avec sa spécificité. «Chacun doit adapter sa Miss», estime Aïda Antar, organisatrice du concours Miss Tunisie depuis 1995, qui est soutenu cette année par l'Office national du tourisme tunisien et le ministre de la Culture - un indépendant dans le gouvernement islamiste. «Selon les pays, poursuit-elle, les coutumes ou les traditions sont différentes.» D'où le bannissement des maillots de bain sur cette terre musulmane. «On ne porte pas d'habits indécents, on a notre religion!» explique tout sourire Heiger, 20 ans.
Prétendante au titre de Miss Tunisie, étudiante de Sidi Bouzid, elle s'apprête à subir une formation de trois semaines, avec quatorze autres candidates, dans un hôtel de luxe près de Tunis. Un huis clos loin de sa famille durant lequel elle sera «coachée» pour transformer la jeune fille à la voix fluette en une représentante assurée de son pays durant un an. «On ne peut pas se mettre en bikini et s'amuser! rit-elle. Même si moi ça ne me dérangerait pas, car Dieu seul sait ce qu'il y a dans les cœurs!»
Toutes les candidates sont porteuses d'un projet que la diffusion télévisée de l'événement pourrait aider à réaliser. L'ingénue Heiger souhaite ouvrir une salle de sport mixte et gratuite à Sidi Bouzid, «pour éviter que les jeunes ne tombent dans la drogue». D'autres veulent secourir les femmes violées ou faciliter le dépistage du cancer du sein dans les régions reculées.
Toutes participent sans crainte. Raz­wa, 22 ans, future hôtesse de l'air «veut changer d'air après la révolution!» Marwa, 21 ans, en prépa d'école d'ingénieur, estime que «c'est bien de s'occuper de la beauté, de quelque chose de différent de la politique, pour déstresser».
Heiger fait la course en tête grâce aux suffrages des téléspectateurs, invités à voter par SMS après chaque journée de formation résumée à la télévision. Encouragée par sa mère, alors que son père était réticent, elle devient rouge écarlate lorsqu'elle se retrouve pour la première fois dans les bras d'un garçon lors d'un cours de valse.

Pour Aïda Antar, une Miss doit savoir danser, mais aussi se tenir, se maquiller ou dresser une table. L'atelier arts de la table donne une idée des défis: au premier jour de formation, Mme Antar demande à l'une des candidates à quoi servent les deux verres qu'elle a posés là. «Celui-ci est pour l'eau, celui-là pour le vin», répond la jeune fille, ravie. «Heu… tu veux dire pour l'eau et pour le jus de fruit!» s'empresse de corriger la Geneviève de Fontenay locale. Les caméras de télévision tournent, il ne faut pas déraper et s'attirer les foudres des radicaux.
Car organiser un tel événement en Tunisie aujourd'hui peut présenter certains risques. Bessem Bembli a fait appel à une société de sécurité pour le casting de son concours afin de rassurer les candidates. «Le contexte est délicat, reconnaît-il. Mais ce genre de concours peut déplaire à certains autant qu'ils le veulent, la Tunisie n'est pas qu'à eux, c'est aussi mon pays.»
Un pays à la tradition de tolérance que veut aussi défendre Aïda Antar. Son credo: redonner une autre image de la Tunisie, notamment pour sauver la saison touristique. «On n'est pas en guerre civile. Le pays n'a pas sombré dans l'l'intégrisme total. En organisant une élection de Miss, ça peut rassurer sur l'état réel de la Tunisie.»

Samedi soir, les Tunisiens pourront donc voir défiler à la télé les filles de Miss Tunisie. Sans risque de polémique sur un maillot de bain trop échancré ou non. Cette option ne sera pas un handicap pour la candidate qui sera désignée pour participer au concours Miss Monde: «La prochaine édition sera organisée à Bali», jubile Aïda Antar. En Indonésie, le plus grand pays musulman du monde, le maillot de bain sera aussi remplacé par une tenue plus conforme aux mœurs locales.
 
Thibaut Cavaillès

Le Figaro, 4 avril 2013