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21 novembre 2021

Eric Zemmour, nouveau pôle d’attraction de l’ultradroite

 

De nombreux militants de l’extrême droite la plus radicale et violente, qui jugent Marine Le Pen trop modérée, soutiennent sa candidature et structurent ses réseaux.

Eric Zemmour, qui fait assaut de radicalité, attire naturellement les éléments les plus proches de l’ultradroite, quand Marine Le Pen, au nom de la dédiabolisation, a eu fort à faire depuis des années pour les écarter. Ce compagnonnage n’effraie guère l’ancien journaliste du Figaro. Pour les orphelins de la droite extrême, royalistes, identitaires, suprémacistes blancs ou catholiques ultraconservateurs, l’ascension rapide d’Eric Zemmour tient de la divine surprise. Mais ces soutiens du polémiste d’extrême droite sont parfois encombrants et effraient passablement ceux venus de la droite classique.

Le presque candidat peut évidemment compter sur l’appui des catholiques traditionalistes du Mouvement conservateur (auparavant Sens commun), mais il entraîne aussi les intégristes de Civitas, pour lesquels « Eric Zemmour incarne un véritable espoir de salut pour notre identité menacée de disparition par l’immigration ». Les jeunes de l’Action française, ravis d’avoir un candidat aussi familier de Charles Maurras et qui souhaite devenir « un roi républicain », sont enthousiastes. « Nous sommes patriotes avant d’être monarchistes. Si le bien commun passe par avoir un président comme Zemmour, alors très bien », assure l’ancien porte-parole de l’Action française, Antoine Berth.

D’anciens mégrétistes et des orphelins de Génération identitaire, dont le mouvement a été dissous le 3 mars, militent discrètement pour l’ancien chroniqueur de CNews ; Jean-Yves Le Gallou, l’inventeur dans les années 1980 de la préférence nationale pour le Front national, et Thomas Joly, président du minuscule Parti de la France, soutiennent, eux aussi, publiquement le quasi-candidat.

La première alerte est venue d’un groupuscule inconnu, la Famille gallicane, qui a rejoint Génération Z et s’est filmé dans une forêt en train de tirer sur des caricatures de juif au nez crochu, de musulman couvert d’un chèche et de Noir aux cheveux crépus. La révélation de la vidéo par le site StreetPress a embarrassé Stanislas Rigault, le jeune président de Génération Z, qui a aussitôt assuré que les deux membres de cette Famille gallicane avaient été « évidemment immédiatement dégagés du mouvement », et reconnu qu’« on n’a[vait] pas fait un test de moralité avant ». Lui-même, étudiant en droit à l’Institut catholique de Vendée, a fondé en 2019 L’Etudiant libre, un média qui s’est spécialisé dans « la droite hors les murs », au point d’avoir publié un « entretien avec Luminis : une association identitaire au service des plus démunis », une association qui, surtout, se revendique de François Duprat, le premier négationniste français, a indiqué Mediapart.

« Marine Le Pen, elle est vraiment française »

Eric Zemmour a encore confié la structuration de ses réseaux dans l’ouest à Philippe Milliau, un ancien militant identitaire, fondateur de la très droitière TV Libertés, ainsi qu’à Tristan Mordrelle, comme l’a révélé Libération, un proche des réseaux révisionnistes qui dispose d’un fonds important de contacts pour les mailings. L’écrivain férocement antisémite Hervé Ryssen appuie lui aussi le polémiste, comme Papacito, un youtubeur qui a mimé l’assassinat d’un électeur « insoumis » en juin et qui juge qu’Eric Zemmour « est un politicien qui a des burnes. Et ça fait un bien monstrueux. » Une petite partie de la droite extrême grince certes un peu des dents : Eric Zemmour est juif. Comme l’a admis le suprémaciste Daniel Conversano, « je préférerais que Marine Le Pen ait le talent d’Eric Zemmour, parce que Marine Le Pen, elle est vraiment française », mais « la défense de la race blanche » passe assurément avant tout.

Les participants aux réunions publiques d’Eric Zemmour sont pour certains aimantés par cette droite radicale. Trois questions posées lors du meeting de Bordeaux, le 12 novembre disent assez, au-delà des curieux, quel public rencontre le polémiste. Ainsi Alain de Peretti, le président de Vigilance halal : « Si vous êtes élu président, est-ce que vous prendrez la décision d’interdire l’abattage rituel en France ? » (Forts applaudissements.) Eric Zemmour, un peu embarrassé : « C’est une question assez difficile ; ça concilie deux choses : la liberté religieuse et la souffrance animale. Je pense qu’il faut effectivement essayer de trouver un compromis. Il y a beaucoup de discussions autour des animaux qui seraient d’abord étourdis, je pense qu’il faut nous diriger vers un compromis de ce type-là. » Non, en somme. Après un léger blanc, applaudissements. Chacune de ses phrases est d’ailleurs vigoureusement ponctuée par un bataillon de jeunes de Génération Z qui chauffent la salle et assurent une claque efficace.

Alain de Peretti est un vieux militant de la lutte contre l’abattage rituel, et partant, de la lutte contre les musulmans. Il est l’auteur de formules sans ambiguïtés : « Il y a dans l’ADN des musulmans, malheureusement, cette tentation, cette habitude du djihad » ; « La pratique de l’égorgement est très répandue en islam. Elle ne concerne d’ailleurs pas que les animaux : lors des attentats du 13 novembre 2015, nombre de victimes ont été égorgées par les assaillants du Bataclan, alors qu’elles agonisaient au sol. »

Pas d’inquiétude chez Zemmour

Eric Zemmour, qui répète volontiers que « la guerre civile est déjà là », a été pris au pied de la lettre, toujours à Bordeaux, par « un patriote », « ancien militaire dans l’armée de terre » (applaudissements), et membre de l’Arpac, l’Association pour le rétablissement du port d’arme citoyen (vifs applaudissements), qui lui a demandé s’il était favorable à armer une partie de la population. « Je comprends tout à fait votre émotion et votre détermination, et je l’approuve, a répondu, gêné, Eric Zemmour. Maintenant, je dois vous dire que nous devons d’abord, et avant tout, rétablir le contrôle de la contrainte légitime de l’Etat. Ce que vous dites, c’est en dernier recours, mais il faut d’abord rendre à l’Etat sa force. » (Applaudissements.)

Une petite dame, enfin, lui a demandé franchement, « comment vous vous positionnez par rapport au nouvel ordre mondial ? » – une claire allusion aux théories du complot, au projet de domination mondiale d’un groupe clandestin, judéo-maçonnique, Illuminati ou autre, selon les chapelles. « Oh, diable !, a répondu Eric Zemmour, alors, là, vous ne m’avez pas loupé. Ça dépend ce que vous appelez le nouvel ordre mondial. Si vous voyez quelques personnes qui tirent les ficelles de tout le monde, je vous avoue que je n’y crois pas trop. » En revanche, s’il s’agissait de la mondialisation, la dame, qui n’en demandait pas tant, a eu droit à un long développement sur les échanges internationaux.

Eric Zemmour ne semble pas s’en inquiéter. « Les gens réfléchissent, c’est ça qui me séduit, a-t-il expliqué à la presse. Ils ont leur propre pensée, leurs propres réflexes, ils sont émancipés de la tutelle des médias. Il y a des gens qui effectivement veulent aller plus loin sur certains points. Bon, on discute, on échange, je pense que ça s’est fait dans la plus grande courtoisie et l’écoute des uns et des autres. »

Franck Johannès

Le Monde, 19 novembre 2021