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13 février 2014

Pour en finir avec la théorie du complot



Coup de colère du site libanais Raseef22 contre la tendance de nombreux Arabes à voir dans l'Histoire une succession de complots dirigés contre eux. Une explication confortable qui dispense de toute autocritique.

Si vous interrogez des Arabes sur la cause de tous leurs malheurs, beaucoup vous répondront par un mot : complot. La théorie du complot est devenue un trait de la mentalité arabe, théorie confortable qui vous dispense de faire l'effort de réfléchir aux causalités comme de faire votre autocritique. Elle permet au contraire de se considérer comme une victime et de croire que tout irait bien sans les manigances de l'ennemi.
Généralement, les adeptes de cette théorie n'ont pas beaucoup de mal à en démontrer la véracité. Les interventions étrangères sont là pour ça, même celles qui celles qui sont motivées par des événements locaux.
Aussi beaucoup d'entre nous continuent-ils de parler avec volubilité des Protocoles des sages de Sion, preuve, selon eux, qu'il suffit d'ouvrir les yeux pour comprendre que les événements historiques peuvent tous être attribués à une poignée d'êtres maléfiques déterminés à établir leur domination sur les peuples de la terre entière.

L'exemple du 11 septembre 2001

Depuis leur traduction en arabe, nombreux sont ceux qui sont convaincus de leur véracité. Selon eux, ces Protocoles prouvent que les Juifs dirigent un complot international afin de contrôler le monde. Et cela alors qu'on sait aujourd'hui qu'il s'agit d'un faux [rédigé par la police secrète russe en 1901, à l'époque du tsar Nicolas II, et destiné à servir la propagande antisémite].
De grands intellectuels arabes, tels que [l'intellectuel et militant politique égyptien] Abdelwahhab El-Messiri et [l'universitaire et écrivain égyptien]  Youssef Ziedan, ont écrit qu'il s'agissait d'un faux. Ils sont même allés plus loin en expliquant qu'y accorder crédit ne faisait qu'ajouter au désespoir des Arabes et leur valait la réputation d'être racistes.
Or beaucoup persistent à ne pas vouloir se libérer de ce cocon intellectuel qui entrave la liberté de pensée, mais leur permet de se sentir dans le rôle confortable de la victime qui mérite la compassion.
Autre exemple, plus récent : les attentats du 11 septembre 2001. Le moins qu'on puisse dire est qu'ils font l'objet de suspicion. En interrogeant les ressortissants des pays arabes, on serait surpris de voir combien d'entre eux croient que ce sont les Etats-Unis eux-mêmes – ou Israël, leur allié – qui les ont organisés, et ce afin de justifier leur guerre contre le monde arabe et musulman.

Une des assertions qu'on entend souvent est que des milliers de Juifs ne seraient pas allés travailler ce jour-là. Ils auraient été avertis à l'avance des attentats. Ceux qui avancent cette thèse n'expliquent pas comment des milliers de gens auraient pu être suffisamment discrets pour que rien ne filtre d'une information de cette importance.

Des problèmes qui sont les nôtres

Le New York Times a mené l'enquête pour arriver à la conclusion qu'en réalité 15 % des victimes étaient des Juifs. Pour ceux qui voudraient le vérifier, les noms et les photos des victimes sont toujours disponibles. Or ces informations ne semblent pas être parvenues jusqu'aux Arabes. Qui plus est, ceux-ci se montrent inébranlables dans leur conviction qu'il y a eu complot, quand bien même Oussama Ben Laden a reconnu et revendiqué avoir été à l'origine des attentats.

Le dernier exemple en date de théorie du complot répandue dans la presse arabe, c'est le "complot du 'printemps arabe'". Celui-ci découlerait du concept du "chaos créateur" cher à l'administration américaine de George W. Bush, qui voulait provoquer des changements substantiels dans la région grâce à la guerre d'Irak.

La question qu'on peut se poser est la suivante : comment un acteur, quelle que soit sa puissance, pourrait-il détruire toutes les digues et provoquer un déferlement d'événements incontrôlables tout en croyant qu'il arrivera à les maîtriser ? De même, quel intérêt y aurait-il à provoquer la chute de régimes tels que celui de Hosni Moubarak en Egypte et de Zine Al-Abidine Benali en Tunisie, fortement liés à l'Occident, pour parier sur un avenir incertain ?

Oui, l'Otan est intervenu en Libye. Oui, l'Occident est intervenu au Yémen. Oui, tout le monde intervient désormais en Syrie. Mais ces interventions sont-elles le seul élément qui compte dans tout ce qui s'est passé ? Pensons-nous réellement que les peuples arabes sont si inconscients que tout ce qui se passe chez eux ne peut avoir pour origine qu'un complot ourdi à l'étranger ? Nos propres pathologies intellectuelles, sociales et économiques dépassent de loin les capacités d'une quelconque puissance étrangère pour créer les problèmes qui sont les nôtres.

Ali Adeeb, site libanais Raseef22

Traduction "Courrier International", 26 décembre 2013