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24 février 2014

Infographie : quel est le style "convenable" pour les femmes ?



Quel est le style vestimentaire qui convient pour une femme ? Cette enquête, menée dans sept pays musulmans, a suscité un grand intérêt à travers le monde. Le Pew Research Center américain a interrogé le directeur de l'enquête sur les méthodes et le déroulement.

Pourquoi avez-vous soulevé la question du style vestimentaire féminin musulman dans votre enquête ? Qu'espériez-vous apprendre ?
Mansoor Moaddel* : Les objectifs principaux de ce projet sont : 1) expliquer les variations du fondamentalisme religieux dans les sept pays concernés par l'enquête, 2) déterminer l'étendue de la pénétration des valeurs occidentales dans ces pays et 3) montrer les variations d'attitude parmi les personnes qui vivent dans ces pays quant à des questions comme l'égalité des sexes, la laïcité et la religion.

Dans les années 1920, l'avènement d'un Etat laïque moderne en Egypte, en Iran et en Turquie a créé un contexte qui a permis aux femmes de s'engager dans des mouvements pour leurs droits. En Egypte, après la déclaration d'indépendance de 1922, Huda Shaarawi a fondé l'Union féministe égyptienne et renoncé à son voile, et nombre de femmes des classes aisées ont suivi son exemple. En Iran et en Turquie, l'Etat a eu pour politique officielle de forcer les femmes à renoncer au voile.

Pour maintenir l'institution de la suprématie masculine, les fondamentalistes musulmans ont attaqué le mouvement des femmes sur la question qu'ils pensaient la plus fragile – la liberté de s'habiller comme elles l'entendent. L'ayatollah Morteza Motahhari, religieux iranien et l'un des principaux porte-parole du fondamentalisme chiite, a recadré le débat sur le voile en faisant de l'absence de voile l'équivalent de la nudité. Et cela fait plus de cent ans que pontes et gens ordinaires débattent de la légitimité du voile.

On ne constate pas de grande différence entre les sexes dans les réponses concernant le vêtement féminin.
Il n'y a pas de différences importantes dans les préférences entre hommes et femmes, sauf au Pakistan, où les hommes préfèrent les voiles les plus conservateurs [alors qu'au Liban et en Tunisie, les hommes sont plus antivoile que les femmes]. Cependant hommes et femmes divergent sur le droit des femmes à s'habiller comme elles veulent. Les femmes y sont plus fortement favorables que les hommes dans les sept pays. Les personnes ayant fait des études supérieures soutiennent davantage le droit des femmes à choisir, sauf en Arabie Saoudite. [Le Liban est le seul des sept pays où le pourcentage, hommes, femmes confondus, des antivoiles est majoritaire.]

Pourquoi avez-vous choisi d'utiliser des photos et des illustrations de vêtements pour poser les questions ?
En montrant ces images aux personnes sondées, nous faisons entrer six questions dans une seule. Il n'y a pas de malentendu possible sur le type de voile. Nous comprenons ce que veut dire la personne sondée quand elle pointe l'une des six images pour désigner un style de vêtement féminin convenable. Dans nos enquêtes précédentes, nous avions du mal à interpréter des réponses comme "il est important que les femmes observent le hijab islamique."

Les images et les photos permettent parfois de mieux mesurer et comprendre la perception qu'ont les gens d'une question, d'un événement voire d'une institution sociale. Les gens jugent souvent les choses telles qu'elles leur apparaissent physiquement.

Il est également intéressant d'examiner les réponses en fonction de la religion du sujet. Y a-t-il eu des résultats surprenants dans la composition des pays que vous avez étudiés, par exemple l'Egypte, l'Irak, le Liban ?
Les différences ne sont pas tellement importantes entre chiites et sunnites. Les différences en Arabie Saoudite sont très intéressantes. Les Saoudiens [tous milieux confondus] soutiennent davantage la liberté de choix que les Irakiens, les Egyptiens et les Pakistanais, mais sont plus conservateurs en termes de vêtement. Une surprise : les Kurdes irakiens sont devenus plus conservateurs. Dans les enquêtes précédentes, ils étaient en train de devenir plus tolérants. La tendance est en train de s'inverser. [En Irak, 15% des Kurdes sont pour le voile intégral et 2 % contre, mais 7% des Kurdes contre 3% des Arabes sont contre tout voile.]

Les hommes ont-ils été interrogés par des hommes et les femmes par des femmes ? Si oui, pourquoi ?
Dans certains pays du Moyen-Orient, un homme peut s'offusquer si sa femme ou sa fille est choisie au hasard pour un entretien et pas lui. Dans ce cas, les interrogateurs ont eu pour consigne de l'interroger aussi sans que ses réponses soient incluses dans les données analysées. Dans certains cas, le tuteur masculin n'autorise pas les entretiens en privé.
Dans certains pays, l'Arabie Saoudite par exemple, interrogateurs et sujets sont du même sexe. Au Liban et en Turquie, ce n'était pas toujours nécessaire.

Dans un environnement politique et social autoritaire, la probabilité est plus élevée que les gens falsifient leurs vraies préférences. Pour remédier à ce problème, on peut entre autres interpréter les données recueillies à la lumière d'autres recherches, par exemple les travaux d'historiens et d'anthropologues.

L'autre moyen, c'est de formuler plus d'une question sur le même sujet.

Quand une femme était interrogée chez elle, son mari ou un autre homme de la famille était-il présent ?
Dans certains pays, oui et nous avons relevé ces cas.

Avez-vous eu des surprises avec les résultats ?
Les conclusions de l'enquête réalisée en Arabie Saoudite sont particulièrement intéressantes. Si plus de 70 % des sujets considèrent comme convenable le vêtement le plus conservateur (images n° 1 et 2), ils sont bien plus nombreux (47 %) que les Egyptiens (14 %), les Irakiens (27 %) ou les Pakistanais (22 %) à trouver que les femmes devraient pouvoir s'habiller comme elle l'entendent.
Ces deux éléments sont difficiles à concilier. La recherche sur l'opinion publique nous a appris que les gens ont simultanément des opinions contradictoires. Néanmoins, il y a des preuves significatives que l'opinion saoudienne soutient les valeurs progressives de l'individualisme social et de la démocratie et souhaiterait que les institutions religieuses interviennent moins dans la vie quotidienne.
Les Saoudiens sont plus nombreux par exemple que les Egyptiens, les Irakiens, les Tunisiens et les Pakistanais à trouver que l'amour est la base du mariage. 70 % d'entre eux considèrent que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement. Leur confiance à l'égard des institutions religieuses a de plus fortement baissé entre les enquêtes de 2003 et 2011.

Note : Mansoor Moaddel est professeur de sociologie à l'université du Maryland et directeur de l'équipe qui a mené l'enquête. Celle-ci a été menée par l'Institut de recherche sociale de l'université du Michigan.

Courrier International, 5 février 2014