Les émeutes en Chine et la répression sanglante qui s'en est suivie remettent en lumière le cas d'une dissidence singulière, bizarrement oubliée par les défenseurs habituels de toute cause musulmane : celle des Ouïgours.
On parle moins d'eux que des Tibétains. Ces 8 millions de musulmans turcophones peuplant la province du Xinjiang subissent pourtant de véritables persécutions au nom de la sinisation. Colonisée au XIXe siècle et mise au pas par l'empire, la province est riche en hydrocarbures, en ressources minérales et en terres agricoles. Le régime communiste a toujours redouté que le développement d'une culture ouïgoure autonome ne débouche sur une volonté d'indépendance. Comme pour les Tibétains, il s'emploie donc à diluer l'identité de la région à grand renfort de population han. Ce qui provoque régulièrement de vives tensions entre les deux communautés et, de temps à autre, des révoltes.
Tout le monde a en tête la répression sanglante ayant frappé le mouvement étudiant place Tiananmen. On sait moins que huit ans plus tard, le régime écrasait dans le sang une tentative de soulèvement ouïgour. Les chiffres sont difficilement vérifiables, mais on parle de 8 000 disparus et de 50 000 emprisonnés ou torturés. Depuis, la contestation n'a cessé de se radicaliser. Certains Ouïgours ont rejoint les rangs de mouvements islamistes extrémistes. Ce qui permet à Pékin de mener sa politique de répression au nom de la lutte contre le terrorisme. Pourtant, l'essentiel de la dissidence reste mené pacifiquement, notamment par le Congrès mondial ouïgour de la dissidente en exil Rebiya Kadeer. Pékin l'accuse aujourd'hui d'avoir orchestré les émeutes. Celle qui a failli recevoir le prix Nobel de la paix dément et demande une enquête internationale.
J'ai eu la chance de la rencontrer il y a un an et demi à Bruxelles. Celle qui incarne l'espoir d'une ethnie musulmane opprimée ne porte ni burqa ni voile d'aucune sorte. Mère de sept enfants, dont plusieurs sont en prison, elle a fait fortune dans le textile avant d'être élue au Parlement chinois. A l'époque, Pékin l'exhibait pour montrer son respect de sa diversité culturelle. Tout bascula en 1999. Elle fut arrêtée alors qu'elle était en route pour rencontrer un émissaire de la diplomatie américaine et lui apporter les preuves de la répression. Elle passera six ans dans les geôles chinoises.
Avec interdiction de parler, et même de sourire. Aujourd'hui réfugiée aux États-Unis, elle est intarissable sur le "génocide culturel" en cours contre son peuple. Plus de 15 000 Ouïgours auraient été arrêtés ces dernières années. Certains attendent toujours d'être exécutés pour "terrorisme".
Bizarrement, ce procès en terrorisme ne passionne pas les musulmans des autres pays. Le monde arabe s'enflamme pour les Palestiniens, mais jamais pour les Ouïgours. Rebiya Kadeer a son explication : "A leurs yeux, nous ne sommes que des Asiatiques, et puis, surtout, nous ne sommes pas opprimés par les États-Unis ou Israël, alors cela ne les intéresse pas." Alors que douze petits dessins danois peuvent mettre en émoi, le fait que des corans puissent être brûlés par des officiers chinois au Xinjiang (une information donnée par Rebiya Kadeer que je n'ai toutefois pas pu recouper) ne donne pas même lieu à une rumeur. Lorsque des dissidents ouïgours tentent de se réfugier dans des pays musulmans, ils sont immédiatement renvoyés aux autorités chinoises.
Aucun pays "frère" n'a voulu accueillir cinq Ouïgours libérés de Guantanamo ... Il a fallu les envoyer sur une île du Pacifique dépeuplée, où ils vivent désormais. C'est dire l'indifférence du "monde musulman" (en réalité très divers) pour ces coreligionnaires asiatiques. Certains réseaux habitués à traquer l'"islamophobie" de "l'Occident" restent étrangement silencieux face aux persécutions, bien réelles, subies par cette minorité musulmane de la part d'un régime autoritaire d'Extrême-Orient.
Caroline Fourest
Article paru dans le journal « Le Monde », édition du 11.07.09
On parle moins d'eux que des Tibétains. Ces 8 millions de musulmans turcophones peuplant la province du Xinjiang subissent pourtant de véritables persécutions au nom de la sinisation. Colonisée au XIXe siècle et mise au pas par l'empire, la province est riche en hydrocarbures, en ressources minérales et en terres agricoles. Le régime communiste a toujours redouté que le développement d'une culture ouïgoure autonome ne débouche sur une volonté d'indépendance. Comme pour les Tibétains, il s'emploie donc à diluer l'identité de la région à grand renfort de population han. Ce qui provoque régulièrement de vives tensions entre les deux communautés et, de temps à autre, des révoltes.
Tout le monde a en tête la répression sanglante ayant frappé le mouvement étudiant place Tiananmen. On sait moins que huit ans plus tard, le régime écrasait dans le sang une tentative de soulèvement ouïgour. Les chiffres sont difficilement vérifiables, mais on parle de 8 000 disparus et de 50 000 emprisonnés ou torturés. Depuis, la contestation n'a cessé de se radicaliser. Certains Ouïgours ont rejoint les rangs de mouvements islamistes extrémistes. Ce qui permet à Pékin de mener sa politique de répression au nom de la lutte contre le terrorisme. Pourtant, l'essentiel de la dissidence reste mené pacifiquement, notamment par le Congrès mondial ouïgour de la dissidente en exil Rebiya Kadeer. Pékin l'accuse aujourd'hui d'avoir orchestré les émeutes. Celle qui a failli recevoir le prix Nobel de la paix dément et demande une enquête internationale.
J'ai eu la chance de la rencontrer il y a un an et demi à Bruxelles. Celle qui incarne l'espoir d'une ethnie musulmane opprimée ne porte ni burqa ni voile d'aucune sorte. Mère de sept enfants, dont plusieurs sont en prison, elle a fait fortune dans le textile avant d'être élue au Parlement chinois. A l'époque, Pékin l'exhibait pour montrer son respect de sa diversité culturelle. Tout bascula en 1999. Elle fut arrêtée alors qu'elle était en route pour rencontrer un émissaire de la diplomatie américaine et lui apporter les preuves de la répression. Elle passera six ans dans les geôles chinoises.
Avec interdiction de parler, et même de sourire. Aujourd'hui réfugiée aux États-Unis, elle est intarissable sur le "génocide culturel" en cours contre son peuple. Plus de 15 000 Ouïgours auraient été arrêtés ces dernières années. Certains attendent toujours d'être exécutés pour "terrorisme".
Bizarrement, ce procès en terrorisme ne passionne pas les musulmans des autres pays. Le monde arabe s'enflamme pour les Palestiniens, mais jamais pour les Ouïgours. Rebiya Kadeer a son explication : "A leurs yeux, nous ne sommes que des Asiatiques, et puis, surtout, nous ne sommes pas opprimés par les États-Unis ou Israël, alors cela ne les intéresse pas." Alors que douze petits dessins danois peuvent mettre en émoi, le fait que des corans puissent être brûlés par des officiers chinois au Xinjiang (une information donnée par Rebiya Kadeer que je n'ai toutefois pas pu recouper) ne donne pas même lieu à une rumeur. Lorsque des dissidents ouïgours tentent de se réfugier dans des pays musulmans, ils sont immédiatement renvoyés aux autorités chinoises.
Aucun pays "frère" n'a voulu accueillir cinq Ouïgours libérés de Guantanamo ... Il a fallu les envoyer sur une île du Pacifique dépeuplée, où ils vivent désormais. C'est dire l'indifférence du "monde musulman" (en réalité très divers) pour ces coreligionnaires asiatiques. Certains réseaux habitués à traquer l'"islamophobie" de "l'Occident" restent étrangement silencieux face aux persécutions, bien réelles, subies par cette minorité musulmane de la part d'un régime autoritaire d'Extrême-Orient.
Caroline Fourest
Article paru dans le journal « Le Monde », édition du 11.07.09