Washington
(AFP)
La sécheresse record, peut-être liée au changement
climatique, qui a dévasté le secteur agricole de la Syrie de 2007 à 2010,
pourrait avoir contribué au déclenchement de l'insurrection dans ce pays en
2011, selon des chercheurs américains lundi.
Cette sécheresse, la plus sévère dans les annales, a
frappé la principale région agricole dans le nord de la Syrie, forçant les
agriculteurs et éleveurs ruinés à émigrer vers les villes où la pauvreté, la
mauvaise gestion de l’État syrien et d'autres facteurs ont nourri la révolte
qui a explosé au printemps 2011, expliquent-ils dans leur recherche publiée
lundi dans les comptes-rendus de l'Académie américaine des sciences (PNAS).
"Nous ne disons pas que la sécheresse est la cause
de la guerre mais qu'elle s'est ajoutée à tous les autres facteurs, contribuant
ainsi au conflit", qui a fait au moins 200.000 morts et déplacé des
millions de personnes, souligne Richard Seager, un climatologue de l'Université
Columbia (État de New York), co-auteur de l'étude.
"Et le réchauffement climatique en cours,
résultant des activités humaines, a probablement contribué à la sévérité de la
sécheresse dans cette région", selon lui.
Cette sécheresse a frappé le Croissant fertile qui
s'étend du nord de la Syrie à certaines parties de la Turquie et de l'Irak, où
l'agriculture et l'élevage ont commencé il y a environ 12.000 ans.
Cette région a toujours connu des variations
naturelles du climat. Mais ces scientifiques, s'appuyant sur les recherches existantes
et leurs travaux, ont montré que depuis 1900 le "croissant fertile" a
connu une augmentation de 1 à 1,2°C de la température ainsi qu'une réduction
d'environ 10% des précipitations.
Ces tendances correspondent bien à ce que montrent les
modèles ordinateurs sur l'influence des activités humaines sur le réchauffement
du climat, en l'occurrence les émission de gaz à effet de serre, et ne peuvent
pas être attribuées à la variation climatique naturelle, affirment les auteurs
de cette recherche.
- Autres facteurs aggravants -
Selon ces climatologues, le réchauffement du climat a
deux effets principaux.
Il paraît avoir indirectement affaibli le système des
vents qui apportent les pluies de la Méditerranée, réduisant les précipitations
pendant la saison humide de novembre à avril.
Ensuite, les températures plus élevées ont accru
l'évaporation de l'humidité des sols durant les étés chauds.
La région a connu des sécheresses importantes dans les
années 1950, 1980 et 1990, mais celle de 2006-10 a de loin été la pire et la
plus longue dans les annales, un phénomène qui ne peut s'expliquer sans le
réchauffement climatique, estiment les auteurs.
D'autres recherches avaient déjà en partie attribué au
changement climatique cette tendance à long terme d'un assèchement du bassin
méditerranéen.
Les chercheurs relèvent que la Syrie était
particulièrement vulnérable en raison d'autres facteurs aggravants, dont une
explosion de sa population, passée de quatre millions dans les années 1950 à 22
millions récemment.
Les forages illégaux de puits ont également fortement
réduit les réserves d'eau souterraines qui auraient pu minimiser les effets de
la sécheresse. Celle-ci a fait chuter la production agricole de plus de 30%.
Cette activité contribue à un quart du PIB de la Syrie.
Dans les régions les plus durement touchées du
nord-est du pays, les troupeaux ont été presque entièrement abattus et les prix
des céréales ont doublé, forçant jusqu'à 1,5 million de personnes à quitter les
campagnes pour les banlieues des villes déjà envahies par des réfugiés de la
guerre en Irak.
Le régime du président Bachar al-Assad a fait très peu
pour aider ces personnes forcées à quitter leurs terres pour leur apporter
assistance et leur trouver des emplois, expliquent les chercheurs, relevant que
l'insurrection a essentiellement commencé dans ces zones.
Marshall Burke, un scientifique, expert de
l'environnement à l'Université Stanford en Californie, qui n'a pas participé à
ces travaux, note qu'"il se passait beaucoup de choses dans cette région,
et dans le monde, durant cette période, comme une augmentation des prix
alimentaires mondiaux et le début du printemps arabe, autant d'éléments qui
pouvaient accroître la probabilité d'une guerre civile en Syrie".
Mais, estime-t-il, cette étude "met en évidence un
grand nombre d'indications statistiques liant le changement climatique avec un
conflit".
Jean-Louis Santini
Site France 24, 3 mars 2015