Un
médecin israélien soigne un Syrien le 28 août 2013 à l'hôpital Ziv de Safed
dans le nord d'Israël, afp.com/Menahem Kahana
REPORTAGE. Ces victimes atteintes
par des balles sont prises en charge dans des centres médicaux situés de
l'autre côté de la frontière.
Une maman, longue robe noire et foulard cachant ses
cheveux, est au chevet d'une fillette qui se remet d'une grosse opération. Une
scène habituelle ? Pas tant que cela quand on sait que toutes deux viennent de Syrie,
et qu'elles ont été transportées à l'hôpital de Nahariya, près de la frontière
libanaise, par une ambulance militaire israélienne. Grièvement blessée dans le
dos par le tir d'un sniper alors qu'elle avait ouvert un matin la porte de chez
elle, la fillette a été découverte sur le plateau du Golan, du côté israélien
de la ligne de cessez-le-feu avec la Syrie, par une patrouille de l'armée qui
lui a donné les premiers soins. Compte tenu de la sévérité de ses blessures,
elle a été transportée dans le service de neurochirurgie pédiatrique.
Dans ce grand centre médical, la jeune Sama (un nom
d'emprunt) n'est pas un cas unique. En quelques mois, plus de 90 Syriens
grièvement blessés par balle ou par des fragments d'explosifs y ont été
soignés, dont une trentaine dans le service de neurochirurgie du professeur
Jean-François Soustiel, un médecin d'origine française - il vient de Toulouse
- qui vit en Israël depuis plus de vingt-cinq ans.
"Vous savez, ce qui caractérise ces blessés,
c'est qu'ils ont pratiquement tous été atteints par des balles ou des éclats
d'obus. Dans quelques cas, nous avons trouvé des fractures très complexes du
crâne ou de la face qui pouvaient suggérer d'autres formes de violences. Cela
ressemble à des exécutions, avec des balles tirées dans la nuque à courte
portée... Apparemment, ces patients avaient plus de chances de survie. Il faut
savoir qu'avant d'arriver chez nous de longues heures se sont écoulées. Le fait
qu'ils aient survécu, avant de recevoir les premiers soins, à des blessures
très graves explique probablement que nous n'ayons eu aucun cas de décès dans
notre service. On a même l'exemple d'une jeune femme de 23 ans arrivée avec une
blessure extrêmement sévère - la balle était entrée dans la tête pour en
ressortir de l'autre côté - avec une hémorragie intense dans le cerveau. Eh
bien, il y a quelques jours, elle est sortie d'ici sur ses deux jambes en
disant au revoir à tous les membres de l'équipe."
"Je me suis évanoui"
L'hôpital Sieff de Safed (le centre médical de Haute
Galilée à une dizaine de kilomètres du plateau du Golan) a reçu depuis février
dernier 91 blessés syriens. "La procédure est la suivante, explique le directeur,
le Dr Oscar Embon. Nous recevons de l'armée des informations sur le nombre de
blessés et leur état précis. Le temps du trajet entre la frontière et Safed,
ils arrivent chez nous. En général, ce sont des personnes grièvement atteintes
qui ont besoin d'être opérées ; parfois, plusieurs interventions sont
nécessaires."
Comme ce jeune homme d'une vingtaine d'années en soins
intensifs depuis une dizaine de jours. Grièvement blessé à la jambe, il a subi
une très longue opération avec autogreffe de veines. À son chevet, le Dr
Yitzhak est inquiet. Il ne sait pas encore s'il pourra sauver sa jambe.
Plusieurs infirmières sont autour de lui, dont une parle l'arabe. "Il y a
eu un bombardement. Soudain, j'ai reçu une balle. Autour de moi, il y avait
d'autres blessés. Puis je me suis évanoui, et quand je me suis réveillé,
j'étais ici à l'hôpital, à Safed", raconte-t-il sans en dire plus. Tous
ces blessés craignent pour leurs familles restées en Syrie, et aussi pour leur
vie, lorsqu'ils repasseront de l'autre côté. Dire à visage découvert qu'ils ont
été soignés en Israël est, pour le moins, risqué. C'est d'ailleurs la raison
pour laquelle les hôpitaux qui les reçoivent interdisent aux journalistes de
photographier ou de filmer leurs visages et de leur demander d'où ils viennent
et comment ils sont arrivés là.
Serment d'Hippocrate
Pourtant, depuis quinze jours, on en sait un peu plus
sur ce qui a précédé leur admission dans des hôpitaux israéliens. La plupart
sont passés par un hôpital de campagne mis en place il y a 8 mois par l'armée
israélienne quelque part sur le plateau du Golan, à proximité de la frontière.
Jusqu'ici secrète, son existence vient d'être révélée par le Yediot Aharonot,
le quotidien le plus lu en Israël. Un long reportage avec quelques rares photos
mais une description détaillée des soins et de ceux qui les donnent. Des
médecins militaires de carrière ou réservistes qui ont à leur disposition tout
le matériel nécessaire afin de sauver des vies. Une fois stabilisés, les
patients sont alors dirigés vers les centres médicaux de Nahariya et Safed.
Le serment d'Hippocrate comme seul credo ? Une
évidence pour ces médecins, militaires comme civils, juifs, musulmans ou
chrétiens. Quand on leur fait remarquer l'aspect étrange de la situation-- des
Israéliens soignant des Syriens -, les réponses vont de "c'est pour cela
que j'ai fait médecine" à "j'ai la même émotion à chaque fois
lorsqu'ils quittent le service et que je me souviens de l'état dans lequel ils
sont arrivés" en passant par "quand vous avez la tête de quelqu'un
entre les mains, avec le crâne ouvert et un cerveau qui saigne, rien ne compte
plus sinon de les soigner". Reste que tous y pensent : leur retour en
Syrie. Pour le Dr Diana Faour-Kassem, qui suit la petite Sama, c'est même une
vraie inquiétude. On l'aurait presque oublié : Israël et la Syrie sont deux
pays en état de guerre.
Danièle Kriegel,
Le Point, 14 septembre 2013