Photomontage représentant Marc Zuckerberg, et utilisé pour notre campagne
On a beaucoup parlé de
l’influence délétère des messages haineux sur les réseaux sociaux, à l’occasion
de l’assassinat horrible du professeur d’Histoire Samuel Paty. Rappelons qu’il
fut soumis à une campagne de harcèlement pendant toute la semaine ayant précédé
le passage à l’acte du meurtrier.
Tout le monde espère un
électrochoc, et le gouvernement a convoqué les directions françaises des
principales plates-formes du numérique – Facebook, mais aussi Twitter et
d’autres – pour les inviter à prendre leurs responsabilités : mais disons
tout de suite que ce combat là n’est pas gagné. Pour les patrons – tous
américains – de ces réseaux, ils ne sont que des vecteurs, des circuits de
transmission et on ne peut exiger d’eux de censurer à priori ce qui pourrait
passer. Mais pour les avocats des différentes associations antiracistes ayant
déposé des plaintes dans le passé au titre des Lois existant sur la presse, les
réseaux sociaux pourraient être poursuivis comme éditeurs ou représentant légal
d’un éditeur, aux dispositions des diverses lois existant ; et en
particulier la loi Gayssot réprimant le négationnisme en France.
Petit rappel historique :
j’ai fait – au sein d’un groupe informel, mais aussi personnellement – de la
« veille » des pages Facebook (personnelles ou de groupes) supports
de Dieudonné, dont la nocivité et la dangerosité ne sont apparues au grand jour
qu’au début des années 2010. C’est à cette occasion que j’ai réalisé la
diffusion effarante du négationnisme sous forme de publications virales,
partages ou écrits personnalisés remettant sournoisement en cause la réalité de
la Shoah. C’est ainsi que j’ai pris l’initiative de lancer une pétition sur la
plate-forme « Change.org » début 2016, pétition qui allait être
signée par près de 6000 personnes en quelques semaines. Les plus illustres
personnalités l’ont soutenue, à commencer par Serge et Beate Klarsfeld mais
également des responsables de la communauté juive, présidents d’institutions,
représentant de toutes les religions, élus, journalistes, etc. J’avais parlé sur ce
blog
de la pétition. Quelques semaines plus tard, je parlais de cette campagne et
des menaces du négationnisme lors
des assises de la lutte contre la haine sur Internet.
J’ai pu remettre à la
Direction interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme un
dossier, expliquant la campagne menée et apportant des preuves – sous forme de
captures d’écran – du refus de la modération de Facebook de supprimer des
contenus négationnistes. Sans fausse modestie, donc, je peux prétendre avoir
été un « lanceur d’alerte » au niveau français.
Quelle fut la suite ? La
direction locale de Facebook s’est abritée derrière les arguments régulièrement
avancées pour ne pas agir, avec en plus culturellement le clivage inconciliable
entre la tradition américaine de liberté totale d’opinion – en vertu du premier
amendement – et notre propre système juridique, commun à la France et à la
majorité des pays européens, et héritier d’un passé abominable que les
Américains n’ont pas connus, le nazisme et la Shoah.
Les années suivantes, peu à
peu, discrètement, le négationnisme a été relativement modéré par Facebook en
Europe : ainsi ont disparu les pages de supporters de Robert Faurisson ou
autres négationnistes célèbres ; ceci étant, les signalements restent
toujours aussi difficiles car les « boites de dialogue » utilisables
pour les signalements, ne mentionnent toujours pas le cas spécifique de la
négation des génocides, avec référence aux lois existantes. Cependant, cette
propagande restait possible aux Etats-Unis, jusqu’à la déclaration toute
récente de Marc Zuckerberg, le PDG fondateur du réseau social (lire
sur le journal "Le Monde"). Dans un message publié ce 12 octobre sur
son compte personnel, il explique avoir « longtemps
lutté avec la tension qui oppose la défense de la liberté d’expression et la
négation des horreurs de l’Holocauste ». « Ma réflexion a évolué en voyant
les données qui montrent l’augmentation des actes de violence antisémite ».
L’autre géant des réseaux
sociaux, devrait suivre Facebook : lire
ici
Ce sont donc de vraies
victoires : reste, malgré tout, à voir quelle sera l’efficacité des
modérations mises en œuvre – en amont ? par signalement ? avec des
logiciels dédiés ? Dans tous les cas, une veille militante reste plus que
jamais nécessaire, en ces temps dangereux où toutes les haines se rejoignent et
peuvent tuer à nouveau.
J.C