Editorial du « Monde ».
Le théoricien de la communication canadien Marshall
McLuhan affirmait que la nature du messager importait plus que le contenu du
message lui-même. Ces dernières années, les messagers n’ont pas manqué pour
alerter sur l’urgence de la lutte contre le changement climatique. Avec le
succès relatif que l’on sait : la prise de conscience a fini par se faire,
mais sans que les actes suivent à la même vitesse. Le fait que la Banque
centrale européenne (BCE) s’empare à son tour du sujet donne au message une
nouvelle dimension.
L’institution s’est livrée, mercredi
22 septembre, à un exercice inédit en publiant les résultats de différents
scénarios pour mesurer l’impact du changement climatique sur l’économie
européenne. Régulièrement, la BCE teste des hypothèses de crise financière afin
d’évaluer la capacité de résistance du secteur bancaire. L’idée de ces
« stress tests » consiste à envisager le pire pour mieux le prévenir.
L’initiative d’intégrer l’environnement dans les facteurs de risques qui pèsent
sur l’économie constitue une nouvelle étape dans la prise de conscience des
enjeux climatiques.
Alors que les catastrophes naturelles se multiplient,
la BCE veut attirer l’attention sur le coût économique de l’inaction. L’absence
de mesures ordonnées pour décarboner l’économie pourrait amputer le PIB de
l’Union européenne de 10 % d’ici à 2100, estime l’institution. La banque
centrale évoque notamment une explosion des défauts sur les prêts accordés aux
projets les plus exposés au risque climatique. Continuer à les financer alors
que les réglementations en faveur de l’environnement vont rapidement les rendre
obsolètes devient un aléa qui doit être pris en compte.
Réglementation laxiste
Cette alerte n’a rien de théorique. Malgré les
discours rassurants des acteurs de la finance sur leur volonté de participer à
la décarbonation de l’économie, la réalité est moins idyllique. L’exemple de la
multiplication des forages pétroliers et gaziers dans le Grand Nord est
édifiant. Grâce à des règles à géométrie variable, les établissements
financiers parviennent à contourner les contraintes censées protéger
l’Arctique, une région qui contribue à réguler le climat de la planète. Un
rapport publié, le 23 septembre, par l’ONG Reclaim Finance montre que les
projets pétroliers et gaziers continuent de prospérer grâce à des financements
toujours aussi abondants.
Les énergies fossiles sont responsables de 80 %
des émissions mondiales de CO2, première cause du réchauffement. La
finance constitue un levier essentiel pour contenir le phénomène. Or la
réglementation actuelle reste laxiste, en accordant trop facilement des
soutiens bancaires à des projets qui ne font que retarder l’atteinte des
objectifs de l’accord de Paris.
Si le travail de la BCE va dans la bonne direction,
l’institution ne doit pas se contenter d’être un lanceur d’alerte, mais elle
doit aussi jouer son rôle de régulateur. Elle est déjà prête à devenir plus
sélective dans ses rachats d’actifs selon des critères climatiques.
L’efficacité de la mesure dépendra du calendrier d’application, qui doit être
fixé en 2022.
L’institution pourrait aussi obliger les banques à
provisionner davantage de capitaux pour tenir compte du risque climatique.
Enfin, la création d’une structure de défaisance pourrait être envisagée afin
d’aider les établissements financiers à se débarrasser des actifs les plus
toxiques. Poursuivre au même rythme l’extraction des énergies fossiles est
suicidaire sur le plan environnemental, il faut maintenant prendre conscience
que cela devient aussi irresponsable du point de vue économique.
Le Monde, 24 septembre 2021