Michel Aflak, fin des années 1930
Faites le test autour de
vous : qui peut dire quelles ont été la vie et l'action de cet homme politique
syrien ? Pas grand monde. Il est vrai que sa vie (1910-1989) appartient au
siècle passé. Mais surtout, on l'a oublié parce que l'idéologie dont il a été un
des promoteurs, le "panarabisme socialiste", était déjà morte avant
que lui même ne disparaisse. Et plus encore aujourd'hui, alors que le parti
Baas qu'il avait fondé, n'est plus qu'un instrument aux mains d'une famille de
dictateurs en sursis, et dans une Syrie à moitié détruite !
Années de jeunesse
Né en 1910 dans une famille
de la petite bourgeoisie grecque orthodoxe, Michel Aflak a baigné très tôt dans
le nationalisme arabe, en révolte d'abord contre l'Empire ottoman, puis contre
le mandat français. Grand amateur de livres, il s'est intéressé successivement
à la "Nahda" (mouvement de "renaissance islamique" de la
fin du 19ème siècle), puis à des ouvrages traitant de l'épopée des débuts de
l'Islam ; de là date certainement une nostalgie de la grandeur arabe passée,
qu'il va habiller de notions modernes après ses études à la Sorbonne à partir
de 1928.
Michel Aflak ne se lance pas tout de suite dans la
politique, n'étant à son retour à Damas qu'un simple enseignant, se faisant connaitre
par ses poésies. Il fait la connaissance de Salah al-Din-al-Bitar, un musulman
sunnite, qui va être son allié lorsqu'ils lanceront leur mouvement quelques
années plus tard. Très gauchisant au départ, il s'éloignera de ses amis communistes,
déçu de voir le Front Populaire maintenir les mandats et colonies. L'engagement
nationaliste se fait alors plus pressant, Aflak et Bitar étant rejoints par Zaki
al Arzouzi, un Alaouite qui avait déjà fondé un mouvement panarabiste.
Fondation du parti Baas
1941 voit - avec le soutien du Reich nazi en coulisses
- un coup d'état à Bagdad (marqué, en particulier, par un terrible pogrom).
Michel Aflak s'empresse de le soutenir comme beaucoup de Syriens, même si les
Anglais matent vite la rébellion. Ces évènements accélèrent la cristallisation d'un
parti cofondé par le Chrétien, le Sunnite et l'Alaouite, unis par une vision
radicale du nationalisme arabe. En1943, ils fondent le "Hizb al B’ath al arabi" (Parti
de la renaissance arabe). La devise du parti est "Umma arabia uahida thata risala halida" (une nation arabe
avec une mission éternelle). Deux déclarations indiquent bien l'idéologie du
Baas.
Celle-ci, en 1943 :
"Nous représentons l'esprit arabe contre
le matérialisme communiste. Nous représentons l'histoire arabe vivante, contre
l'idéologie réactionnaire morte et le progrès artificiel. Nous représentons le
nationalisme en son essence, qui exprime la personnalité contre le nationalisme
en mots, qui nuit à la personnalité et contredit les comportements naturels
(...)"
Et celle-ci, lors du congrès fondateur du parti en
1947, alors que la bataille a déjà commencé dans la Palestine mandataire voisine,
et que Michel Aflak s'engage farouchement contre les Juifs en passe de fonder
leur Etat :
"Notre objectif est clair et il ne
souffre aucune ambiguïté : une seule nation arabe, de l'Atlantique au
Golfe. Les Arabes forment une seule nation ayant le droit imprescriptible de
vivre dans un État libre. Les moyens de la résurrection sont les
suivants : l'unité, la liberté, le socialisme."
Années 50, espoirs et déceptions
Les années suivantes sont difficiles pour Michel Aflak
et son mouvement : emprisonnés, libérés, arrêtés de nouveau, ils sont mal vus
par les militaires qui se succèdent au pouvoir. S'alliant avec le "Parti
socialiste arabe" d'Akram Hourani, il entre au gouvernement en 1954, alors
que l'idéologie du Baas commence à se répandre dans le monde arabe.
Mais entre temps, le colonel Nasser a pris le pouvoir
en Egypte, porteur lui aussi d'une vision panarabiste. Croyant qu'un tournant
historique est en marche, Aflak se rend lui-même au Caire, arrive à convaincre
le leader égyptien d'une fusion entre les deux pays, et effectivement leurs
deux Etats fusionnent le 1er février 1958 pour créer la "République arabe
unie". Faisant preuve d'un réel manque de maturité politique, il va même
dissoudre le Baas - englobé dans le parti unique nassérien -, ce qui lui vaudra
la solide inimitié de deux militaires, Salah Jedid et ... Hafez el-Assad, qui
tirera les marrons du feu bien plus tard !
Triste fin
La suite est bien triste pour Michel Aflak :
disparition rapide de la République arabe unie ; prise de pouvoir par l'aile
régionaliste et marxisante du Baas ; exils successifs au Liban, puis au Brésil,
pour finir par atterrir ... à Bagdad, où une autre aile du Baas, mais rivale de
celle de Damas, prend le pouvoir en 1968. Saddam Hussein le retient quasiment
prisonnier dans le pays. Il lui attribue le poste de "Secrétaire Général
du comité panarabe du Baas", poste symbolique et sans pouvoirs associés.
En fait il devient une caution idéologique pour le régime irakien, face au Baas
syrien officiellement aussi au pouvoir à Damas.
Triste fin, donc, alors que les deux branches du même
parti, otages d'agendas politiques purement personnels et de nationalismes
rivaux, se réclament toujours d'un mouvement qui devait abolir les frontières
du monde arabe !
Michel Aflak meurt à Paris au l'hôpital du Val de
Grâce, et est enterré à Bagdad ... en musulman, Saddam Hussein prétendant qu'il
s'était converti. Son mausolée aurait été, selon des rumeurs infondées, détruit
lors de l'invasion américaine de 2003
Réunion de dignitaires du parti Baas en 1974
A l'extrême-gauche, Michel Aflak, puis Saddam Hussein en retrait
Que reste-t-il de l'idéologie du
Baas ?
Pas grand chose, soit dit objectivement et sans
jugement biaisé sur ses convictions : impossible, en effet, d'éprouver de
l'empathie pour un nationalisme arabe exacerbé voué à la destruction d'Israël,
à la destruction d'Etats faibles comme le Liban ou à la mise au pas des
minorités diverses du Moyen-Orient.
Mais passons en revue ses convictions, et ce qu'il en
est resté.
-
Théoricien
d'un "socialisme arabe" rejetant à la fois le socialisme et le
marxisme, son discours a servi de vitrine à des régimes, mettant en coupe réglée
deux pays par des familles régnantes au pouvoir ;
-
Il pensait
que ce "socialisme" règlerait les divisions communautaires chez les
Kurdes et les Chrétiens, en fait les clivages n'ont fait que s'approfondir ;
-
Panarabiste
convaincu, il aura vu de son vivant l'échec des tentatives d'unions entre pays,
d'abord avec l'Egypte, puis par le bouillon Kadhafi dans les années 1970 ; et
cela, sans parler de la millénaire rivalité Irak-Syrie ;
-
Convaincu
que le nationalisme arabe devait prendre en compte l'Islam comme une composante
essentielle de l'identité arabe, il a écrit en 1940 : "Arabisme et Islam ne sont pas antagonistes et ils ne peuvent pas
l'être puisqu'ils sont tous deux de même nature". Et en 1943 : L'islam est la meilleure expression du désir
d'éternité et d'universalité de la nation arabe. Il est arabe dans sa réalité
et universel dans ses idéaux ». Or qu'est-il arrivé après
l'effondrement de son idéologie - et des autres nationalismes arabes ? Le
retour au grand galop de l'Islam comme acteur principal de la politique
régionale. Avec, cruelle ironie, la naissance d'un Califat islamique massacrant
les Chrétiens dans son propre pays !
Un dernier point au sujet de la
fameuse "laïcité" mise en avant par les défenseurs français, d'extrême-droite
comme d'extrême-gauche, du régime syrien : si le parti Baas réclamait que
l'Etat soit indépendant de la religion, son idéologie condamnait fermement
l'athéisme, celui des communistes en particulier. De fait, ironie du destin, le
Baas au pouvoir a correspondu à Damas comme à Bagdad, en la confiscation du
pouvoir au profit d'une communauté religieuse minoritaire, alaouite en Syrie,
sunnite en Irak.
Jean Corcos
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Nota :
Cet article a déjà été
publié dans le cadre du blog que je tiens régulièrement sur l'excellent
"Times of Israël". Pour le retrouver dans sa présentation originale,
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