Crédit photo : "Le Monde juif.info", avec mes remerciements à mon ami Yohann Taïeb
Une délégation d'imams israéliens a entrepris une
visite en France, qui devait la mener du 3 au 10 avril successivement à Paris,
en Seine Saint Denis, à Toulouse et enfin à Marseille. Une visite que l'on peut
vraiment qualifier d'historique, car c'était la première fois que venait dans
notre pays des représentants officiels de l'importante minorité arabe d'Israël,
soit 20 % de la population. Ces citoyens israéliens venaient, naturellement,
sous l'égide de leur Ministère des Affaires Etrangères . ils ont été, bien sûr,
reçus à l'Ambassade, et j'y reviendrai. Mais ils étaient aussi invités à
l'initiative de Hassen Chalghoumi et de la "Conférence des imams de
France" qu'il préside : en effet, ces mêmes responsables du culte musulman
en Israël avaient reçu sa propre délégation, lors d'une autre visite historique
en novembre dernier, visite fortement médiatisée à l'époque. Reçus un mois
après par la Commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF, le
dynamique imam de Drancy nous avait déjà parlé de ce projet de voyage en
France, et il faut admirer la rapidité de sa réalisation ! Soulignons aussi que,
pour l'une comme pour l'autre visite officielle, le Quai d'Orsay a
officiellement apporté son soutien, recevant les imams israéliens le 4 avril,
après que - comme on s'en souvient - l'Ambassadeur de France ait chaleureusement
accueilli les imams français à Tel Aviv.
Avant de vous apporter mon témoignage personnel sur
notre rencontre avec ces imams, quelques mots sur l'importance de ces relations
nouées entre Musulmans français et israéliens; Comme devait le dire l'Ambassade
d'Israël en France dans un communiqué : "Historique et symbolique, cette visite
s'inscrit dans une volonté de rapprochement entre les communautés et cette
délégation se veut être le témoin d'une coexistence qu'ils souhaitent
pacifique." Disons déjà
que, aux deux extrémités représentant les opinions les plus bruyantes, on ne
doit pas apprécier ce genre de rapprochement. Pour ceux qui cherchent
systématiquement à délégitimer l'état d'Israël en dénonçant un soi-disant "apartheid",
les témoignages sur des imams heureux dans un état à majorité juive ne méritent
pas d'être diffusés. Pour ceux qui proclament dans notre communauté - et hélas,
avec de moins en moins de complexes - que le conflit israélo-palestinien est
une guerre de religions, ce genre de rapprochement est à nier ou à mépriser.
Ajoutons enfin que, alors que les plus radicaux des militants pro-palestiniens
cherchent à importer le conflit en France - et ont "pourri l'ambiance"
avec les innombrables agressions antisémites qu'a connu notre pays -, la plus
belle des réponses était, justement, dans les paroles de paix qu'ont prononcé
des dignitaires musulmans, successivement sur les deux rives de la
Méditerranée.
Mais revenons à cette délégation. Elle était composée
de cinq imams : Cheikh Slimane Saad Satel (mosquée Al Nuzha, Jaffa), Cheikh
Rashad Abou Alhija (mosquée Jarini, Haïfa), Cheikh Djamal Al-Oubra (mosquée
Al-Nour, Rahat), Cheikh Omar Kial (mosquée Bilal, Jdeida, nord d’Israël) et Cheik
Mohamad Halil Kiwan (mosquée de Majd El Kouroum, nord d’Israël). Ils ont été
reçus par notre commission au CRIF, le mercredi 3 avril, et ils ont été
rejoints par l'imam Chalghoumi et plusieurs Musulmans français, membres de son
association et d'origines les plus diverses - africains, mauricien, maghrébins
et même afghan ! Au delà des paroles entendues, le simple fait de réunir autour
de la table tant de responsables des deux communautés avait quelque chose de
magique, comme l'était le fait d'entendre - avant leur traduction - les propos
des uns et des autres, en hébreu puis en arabe.
Tous les membres de la délégation israélienne ont
parlé de la localité dont ils étaient originaires, et de la parfaite liberté de
culte dont bénéficient les citoyens musulmans du pays.
Cheikh Mohamed Ali Kiwan a évoqué le dimension
plurielle de son travail, puisqu'il est un conférencier, diplômé en dialogue
inter religieux. Le Cheikh Al-Oubra a évoqué sa ville de Rahat - où vivent
60.000 bédouins -, et les 120 mosquées du Sud du pays. Le Cheikh Kayal a évoqué
son travail avec la direction des cultes au sein du gouvernement israélien, qui
a permis d'améliorer la condition des imams.
Habitant des villes "mixtes" ou vivent des
Israéliens de différentes religions, Cheikh Slimane Saad Satel de Jaffa et
Cheikh Rashad Abou Alhija de Haïfa, ont dit combien la coexistence entre
communautés était une chose tout à fait naturelle chez eux. Ainsi, par exemple,
à Haïfa où vivent 200.000 Juifs, 15.000 Chrétiens et 15.000 Musulmans, le
Ramadan est l'occasion de recevoir Prêtres et Rabbins. A Jaffa vivent 20.000
Arabes (sont 5.000 chrétiens) et 40.000 Juifs : et il y a des écoles
religieuses, privées, ou mixtes où se retrouvent tous les enfants. Un groupe
dédié au dialogue a été créé, il organise des manifestations pour rapprocher
les différentes communautés.
Mais les témoignages les plus étonnants ont peut-être
été ceux des deux fonctionnaires qui accompagnaient la délégation. Yaakob
Salamee est le directeur des affaires cultuelles pour toutes les minorités du
pays. Il a donc autorité sur 400 agents de l'état; dont 340 employés musulmans
- des imams donc, payés par l'état d'Israël, alors que comme on le sait en
France l'état ne reconnait ni ne finance aucune religion. 55 employés
s'occupent du culte druze. Mais la surprise fut justement de découvrir que ce
haut fonctionnaire était ... druze lui-même, comme 126.000 citoyens israéliens
et habitants du Plateau du Golan.
Autre druze, responsable lui au Ministère des Affaires
Etrangères; Bahig Mansur. Il a prononcé des paroles très fortes, disant que les
Druzes étaient le "ciment de l'état d'Israël". Il a rendu hommage à
Richard Prasquier, Président du CRIF, pour tous les échanges amicaux déjà noués
entre Druzes et Juifs de France. Un hommage a aussi été rendu à l'American
Jewish Committee et au Rabbin David Rosen, pour le développement -encore à ses
débuts - d'un dialogue inter religieux dans le pays. Parmi les actions évoquées,
les efforts pour calmer les esprits après les actions racistes d'une minorité
d'extrémistes contre les édifices religieux (le tristement connu "Price
tag") ; et la mise en place d'un "Comité des Chefs religieux",
qui se réunissent régulièrement;
Quelques paroles fortes entendues, dites par les
différents membres de cette déélgation : "nous disons aux extrémistes,
vous ne gagnerez jamais" ; "chez nous, les femmes musulmanes
s'habillent comme elles veulent" ; "il y a des Musulmans qui ont des
positions importantes dans tous les ministères" ; "dans le Coran, il
est dit que tous les hommes sont fils d'Adam".
M. Salamee devait trouver le meilleur mot de la fin
pour notre réunion : "il faut faire le choix idéologique de l'optimisme,
et donc il faut voir le verre d'eau à moitié plein" ...
Comme image finale, revenons sur l'accueil de la délégation
à l'Ambassade d'Israël à Paris : le sympathique (et lui aussi optimiste) site
"Israël cool" nous propose un petit reportage, où l'on voit des
membres de la délégation faire une prière, dans une des pièces de la Résidence,
en compagnie de l'imam Chalghoumi.
Jean Corcos
Président de la Commission pour les relations avec les
Musulmans
Cet article a été publié sur le site du CRIF le 8 avril 2013
Et on m'aura reconnu, sur la gauche de la photo