Recep Tayip Erdogan
Dimanche prochain, nous
allons continuer notre série de deux émissions consacrées à la Turquie, cette
puissance incontournable du Moyen-Orient, à la porte de l'Europe mais toujours
en dehors de notre Union, et qui est revenue ces dernières semaines au premier
plan de l'actualité. Et nous retrouverons Dorothée Schmid comme invitée.
Rappelons qu'elle est spécialiste des politiques européennes en Méditerranée et
au Moyen-Orient, et qu'elle est chercheuse à l'Institut Français des Relations
Internationales. Elle y dirige le programme « Turquie contemporaine »
depuis 2008, et ses travaux portent sur les développements de la politique
interne en Turquie et sur les nouvelles ambitions diplomatiques turques. Elle
est l'auteur de plusieurs rapports, et elle a dirigé l'ouvrage collectif La Turquie au Moyen-Orient : une
puissance régionale ?, publié chez CNRS éditions en décembre 2011. Nous
avions traité la dernière fois la situation intérieure de ce grand pays, et
cette fois-ci nous allons parler de sa diplomatie. Alors pour la majorité des
auditeurs de notre fréquence, l'intérêt géopolitique principal c'est bien sûr
la sécurité d'Israël ; et c'est vrai que, suite au gel des relations après
l'arraisonnement du Mavi Marmara au large de Gaza en 2010, pour la plupart la
cause était entendue : islamiste enragé, Erdogan avait transformé son pays, un
ex-allié, en un nouvel ennemi dangereux. Bien sûr, c'est une vision un peu
simpliste des choses, la normalisation semble en marche après les excuses
présentées par Benjamin Netanyahou, même si cela sera difficile. Mais pourquoi
tellement de temps perdu ? La diplomatie turque n'a-t-elle pas maintenant définitivement
tourné le dos à Israël pour des raisons à la fois idéologiques, stratégiques et
économiques ? Cela sera l'objet de la première partie de notre entretien. Et
puis, en deuxième partie, nous discuterons de tous les autres dossiers brûlants
: les Kurdes, la Syrie, les monde arabe, l'Iran ...
Parmi les questions que je poserai à Dorothée Schmid :
-
Tout le monde a été surpris par cet entretien
téléphonique, le 22 mars, entre les Premiers Ministres israélien et turc, en
présence du Président Barack Obama juste avant son départ d'Israël, et par les
excuses de Netanyahou acceptées par les Turcs. Il semblait que tout
rétablissement de relations apaisées entre les deux pays était impossible, surtout
après les derniers propos virulents de Recep Tayip Erdogan, qui avait assimilé
le Sionisme à "un crime contre l'Humanité", le 27 février à Vienne,
devant une conférence parrainée par l'ONU. D'après vous, que s'est-il passé ?
-
Est-ce qu'il n'y a pas une dérive générale
d'Ankara par rapport à l'Occident qui fait que les relations turco-israéliennes
ne seront plus jamais les mêmes qu'il y a dix ans ? Premièrement, la Turquie
s'est fortement rapprochée du monde arabe, parce que l'identité islamique est
revenue comme marqueur de sa société ; ensuite, parce que son économie, qui est
en pleine expansion, a beaucoup profité des marchés du Moyen-Orient ; et enfin
parce que, entre un sentiment anti-américain qui s'est enraciné après la guerre
d'Irak, et une rancœur anti-européenne à cause du blocage des négociations avec
l'U.E, les Turcs peuvent penser : "revenons sur nos anciens
territoires". Qu'en pensez-vous ?
-
Le jeudi 21 mars, Abdullah Oçalan, le chef
incarcéré du P.K.K, a officiellement appelé ses troupes à un cessez le feu avec
les autorités turques. Ce ne serait pas le premier, rien ne dit que cela va
tenir cette fois-ci, mais les observateurs espèrent cette fois qu'il sera mis
un terme à cette guerre oubliée, qui ensanglante les provinces Sud Est du pays
depuis près de 30 ans et qui a fait 45.000 tués. Pourquoi cette possibilité de
compromis, à votre avis ?
- Il y a dix ans, il semblait que c'étaient les
Turcs qui étaient demandeurs pour l'entrée dans l'U.E, et les Européens qui
étaient divisés, avec en gros les gouvernements de gauche qui la soutenaient et
ceux de droite qui hésitaient. La situation n'est-elle pas totalement
bouleversée aujourd'hui ? Rentrer dans une Union en crise économique et
financière, est-ce que ce serait un cadeau pour les Turcs ? Et vu la montée de
la peur de l'islam, pouvons-nous faire entrer un état de 75 millions de
Musulmans en Europe ?