Tamerlan (à gauche) et Djokhar (à droite) Tsarnaïev
Arrivés aux États-Unis en 2003, les frères Tsarnaïev
sont suspectés d'être les auteurs des attentats de Boston.
Ce n'était d'abord que deux silhouettes floues,
entraperçues sur des caméras de vidéosurveillance. Deux individus naviguant
dans la foule, casquette vissée sur la tête, l'une à l'endroit et noire,
l'autre à l'envers et blanche. Puis deux noms et deux trajectoires personnelles
sont apparus, alimentés par les médias américains et une foule croissante de
témoins ayant connu ces deux frères d'origine tchétchène : Tamerlan et
Djokhar Tsarnaïev.
Tamerlan avait 26 ans. Pour le FBI, il était le
«suspect numéro un», celui à la casquette noire. Djokhar, s'il est toujours en
vie, aurait 19 ans. Pour le FBI, il est le «suspect numéro deux», celui à la
casquette blanche.
«Je n'ai pas d'ami américain»
Si leurs traits sont désormais connus, leurs
motivations restent pour l'heure mystérieuses. Le parcours des frères Tsarnaïev
commence au Daguestan, une république russe du Caucase frontalière de la
Tchétchénie. C'est là que Tamerlan serait né. La guerre russo-tchétchène pousse leur famille
vers l'exil. Ils échouent au Kirghizistan avant de rallier les États-Unis en
2003, comme le confirme Ruslan Tsarni, un oncle résidant à Montgomery Village
(Maryland).
En 2004, Tamerlan commence sa carrière de boxeur dans
un club de quartier à Boston. Sérieux et appliqué, le Tchétchène rafle
plusieurs titres régionaux, deux Golden Gloves (gants en or) et se fera même
couronner champion de Nouvelle-Angleterre des poids lourds en 2010. Large
d'épaules, le cheveu ras et les yeux noirs, Tamerlan rêve de faire une carrière
professionnelle dans la boxe, tandis qu'il boucle ses études au Bunker Hill
Community College de Boston.
Dans une série de portraits réalisée par le
photographe Johannes Hirn et intitulée «Boxing for passport» (il boxe pour
obtenir un passeport), Tamerlan confie qu'il est très religieux, «ne boit plus,
ne fume plus», rêve de «représenter les États-Unis aux Jeux olympiques», et de
décrocher la nationalité américaine.
Les choses se corsent en 2009. Tamerlan part
représenter la Nouvelle-Angleterre aux Golden Gloves nationaux à Salt Lake City
(Utah). Il domine son adversaire, mais les juges lui volent sa victoire. Cette
injustice a-t-elle laissé des traces? Plus tard, il est arrêté brièvement par
la police pour violences sur sa petite amie, une jeune et jolie jeune fille
d'origine italo-portugaise. On l'aperçoit, le sourire éclatant, lui servant de
sparring-partner à la boxe. Au photographe, Tamerlan précise: «Je n'ai aucun
ami américain, je n'arrive pas à les comprendre.»
Que se passe-t-il alors? Les informations restent
parcellaires. La dérive religieuse de Tamerlan s'accentue, comme en attestent
les vidéos islamiques mises en ligne sur son compte YouTube, la dernière en
février. Sur le site de vente littéraire Amazon, ses consultations en disent
long sur ses préoccupations récentes: ouvrages portant sur le djihad, la
confection de faux papiers à domicile, le crime organisé, la résistance
tchétchène face à l'armée russe. «Quelqu'un les a radicalisés», s'indigne
l'oncle Tsarni.
L'histoire de Djokhar semble pourtant différente.
Divers témoignages font état d'un garçon jovial, bien intégré, bien dans sa
peau, faisant la fête, n'hésitant pas à boire et à fumer à l'occasion. Chevelure
noire et drue, Djokhar est décrit par tous comme un «remarquable athlète»,
ayant pratiqué la lutte gréco-romaine alors qu'il fréquentait le Bunker Hill
Community College, comme son frère avant lui.
Une bourse de la ville de Boston
En mai 2011, Djokhar décrochera même une bourse de
2.500 dollars décernée par la ville de Boston, pour lui permettre de poursuivre
sa carrière de lutteur. Il étudiait depuis à l'université du Massachusetts, à
Dartmouth, et résidait sur le campus dans le hall Pinedale. Tous les lundis, il
jouait dans l'équipe de football de sa faculté, mais pour la première fois,
cette semaine, il n'était pas à l'entraînement.
Comment ce jeune homme a-t-il pu renier cette Amérique
qui lui tendait les bras? «Ce genre de scénario n'est pas nouveau, commente
Phil Mudd, expert sur le terrorisme à la New America Foundation. Vous avez un
frère aîné qui convainc le plus jeune d'agir, qui lui répète que la bonne chose
à faire est de perpétrer un acte terroriste, lorsque l'Amérique agresse des pays
musulmans et commet des crimes innommables.»
Maurin Picard,
Le Figaro, 19 avril 2013