Richard Prasquier
La
visite de cinq imams israéliens en France, que le CRIF a reçus au cours d’une
rencontre passionnante à laquelle a participé une délégation d’imams français
dirigée par Hassen Chalgoumi, est un événement exceptionnel.
Pour
la première fois des représentants religieux de la minorité arabe musulmane
d’Israël viennent dans notre pays pour parler de leur vie quotidienne, de leurs
succès, de leurs espoirs et de leurs difficultés. Ils s’expriment
indifféremment en arabe ou en hébreu, ils viennent du sud (le cheikh Al Oubra
de Rahat), du centre (le cheikh Slimane Satel de Jaffa), de Haifa (le cheikh
Abou Alhija) ou de Galilée (les cheikhs Omar Kial ou Mohamad Halil Kiwan). Ils
parlent d’un pays de liberté religieuse et d’opportunités ouvertes, bien
éloigné du régime d’apartheid décrit si complaisamment par ceux qui préfèrent
leurs opinions à l’interrogation de la réalité. Sans esquiver les difficultés,
ils expriment avec une force et une crédibilité toute particulière leur volonté
de paix et de fraternité. Leur voix mériterait d’être écoutée, mais est-elle
assez « politiquement correcte » dans notre paysage intellectuel?
Leur
présence, leur chaleur, les liens qu’ils ont créés avec la délégation des imams
qui s’est rendue il y a quelques mois en Israël, pourraient-ils être des
précurseurs d’un autre horizon de relations entre les fils d’Abraham ?
C’est
le même espoir que j’ai ressenti en voyant hier le beau documentaire
« Tinghir-Jérusalem: les échos du mellah ». Identité berbère,
marocaine, française, Kamal Hachkar, son réalisateur, comprend que pour
harmoniser et assumer tous ces mondes de l’exil, il doit en plus rechercher les
voisins juifs subitement partis il y a une cinquantaine d’années, alors que
dans ces villages de l’Atlas ils menaient des vies inextricablement et presque
toujours pacifiquement liées à celles de leurs voisins musulmans. La quête
aboutit, entre Israël où ils se sont installés, et Tinghir, le village
d’origine, où dans le passé Juifs et musulmans bataillaient ensemble dans les
luttes tribales.
Dans
des dialogues où se mélangent arabe, hébreu et tamazigh, dans les souvenirs,
les musiques et les images partagées, c’est une réappropriation, sous le regard
de l’autre, de la richesse des traditions dans une nostalgie commune et surtout
une fierté pacifique qui est le meilleur antidote aux haines intercommunautaires.
Cette
semaine fut aussi celle du voyage au Maroc du Président de la République. Il y
avait dans sa délégation les Présidents du CFCM et du Consistoire. Mohamed
Moussaoui et Joël Mergui, sont tous deux originaires du Maroc, ce pays qui dans
sa constitution reconnaît le poids de l’identité juive dans son histoire. Leur
présence et leur dialogue de sincérité rappellent que des voies de fraternité
sont aussi possibles et que le conflit n’est pas inéluctable.
Pâques
est l’occasion d’un chamboulement pour une renaissance spirituelle :
autant l’orienter vers ces horizons-là, sans plonger dans l’angélisme et le
déni : l’actualité ne le permet pas, mais il ne faut pas uniquement être
esclave de l’actualité.
Richard
Prasquier
Président
du CRIF
site du CRIF, 5 avril 2013