François Hollande s'est rendu au
Maroc du 3 au 4 avril. C'est la première visite du Président
français depuis l'alternance politique à Paris, au printemps 2012,
mais aussi depuis l'arrivée au pouvoir des islamistes du PJD à Rabat, fin 2011.
Quel est le but de cette première visite officielle?
Venir conforter la relation spéciale que la France
s'enorgueillit d'entretenir avec le royaume chérifien, son principal allié au
Maghreb. Et ce, alors que Paris est de plus en plus concurrencé sur place. Il
s'agit aussi de remercier le Maroc pour son soutien appuyé à l'opération Serval au Mali, lancée en janvier.
Le Maroc est sans doute le pays du Maghreb où Paris
est le plus à l'aise. Il n'y pas le lourd héritage historique d'une guerre
d'indépendance, comme en Algérie. Quant à la Tunisie, depuis la chute de Ben
Ali, qu'elle a horriblement mal gérée, la France y est aujourd'hui sur la
défensive.
Cependant, au-delà de la traditionnelle visite
d'amitié avec une délégation de ministres et de chefs d'entreprises, rien de très
nouveau n'était attendu. Ni gros contrat, ni initiative politique d'ampleur.
L'heure est plutôt à la continuité, dans le calme et la discipline pourrait-on
dire.
L'alternance politique n'a pas eu d'impact sur la
relation franco-marocaine?
Jusqu'en 2011, Rabat attendait beaucoup d'une
candidature du patron du FMI, le socialiste Dominique Strauss-Kahn, qui a des
racines maghrébines et a grandi à Agadir. Mais le Maroc joue de malchance: pour
2007, il avait déjà rêvé de voir le flamboyant Dominique de Villepin, natif de
Rabat, accéder à la présidence française.
Plus sérieusement, le royaume s'est toujours accommodé
des différents locataires de l'Elysée, au-delà des clivages partisans. Car la
classe politique française dans son ensemble a toujours eu des relations de
proximité -parfois controversées- avec le Maroc, qui compte la plus grosse
communauté française du monde arabe.
Pour le cas de François Hollande, Rabat s'était
inquiété de son "tropisme" algérien, développé depuis sa jeunesse. L'Algérie a d'ailleurs été la
première destination du nouveau président au Maghreb, en décembre
dernier. Il faut rappeler que les Algériens fêtaient en 2012 les 50 ans de leur
indépendance et que Hollande avait alors une vraie carte à jouer.
Le roi Mohammed VI a toutefois été le
premier chef d'Etat arabe reçu par Hollande à l'Elysée. En outre,
peu avant son voyage à Alger, le chef de l'Etat avait dépêché au Maroc son
Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, à l'occasion de l'inauguration du tramway
de Casablanca.
L'effet "printemps arabe" est-il à prendre
en compte au Maroc?
Bien sûr. En 2011, le royaume n'a pas été épargné par
les contestations. L'opposition incarnée par le Mouvement du 20-février a
bien fait fléchir le pouvoir royal en faveur des réformes. L'objectif de ce
dernier était de désamorcer la "bombe" sociale.
Des élections législatives ont été organisées. Pour la
première fois, le Roi a désigné comme Premier ministre le dirigeant de la
formation victorieuse, à savoir Abdelilah Benkirane, du Parti de la Justice et
du Développement (PJD).
C'est aussi la première fois que le gouvernement
marocain est dirigé par des islamistes. Le PJD est réputé modéré, mais il est
surtout proche du Makhzen (surnom habituel du "Palais"). La France en
profite pour louer le "modèle" marocain de transition démocratique
apaisée et la sagesse du roi Mohammed VI.
Le tableau n'est pourtant pas parfait. Le monarque et
Commandeur des croyants concentre toujours la réalité des pouvoirs politique et
économique. Sa personne demeure inattaquable et son régime autoritaire, bien
qu'il n'ait heureusement plus rien à voir avec celui des années de plomb, sous
Hassan II. Mais Paris ne tient pas à critiquer ouvertement son allié sur les
sujets qui fâchent.
Plus important encore, le développement économique
tarde à décoller. Et la gronde populaire persiste. Sur ce plan aussi, les
Français sont contestés pour leur influence auprès du Palais. Par exemple, le
grand projet du TGV Tanger-Casablanca - le premier d'Afrique et symbole fort du
poids de la France au Maroc - est jugé totalement inadapté aux réalités du
pays.
Le Maroc reste-t-il un "pré carré" de la
France ?
De moins en moins, même si Paris devrait demeurer à
moyen terme le partenaire privilégié de Rabat. Depuis l'arrivée de Mohammed VI
au pouvoir, en 1999, et la libéralisation qui a suivi, le Maroc s'est ouvert à
d'autres pays.
L'Espagne, autre ex-puissance coloniale et premier
voisin européen, a regagné en importance. C'est elle qui a ravi la place de
premier fournisseur du royaume à la France en 2012. Cela dit, il s'agit d'abord
d'une conséquence de la crise économique que les Espagnols traversent, car
leurs exportations sont devenues plus compétitives.
Les Etats-Unis sont le rival le plus sérieux. A Rabat,
on rappelle d'ailleurs volontiers que le Maroc a été le premier pays à
reconnaître les Etats-Unis à leur indépendance. En 2004, un important accord de
libre-échange a été signé avec Washington.
Plus récemment, une coopération stratégique a été
établie, notamment sur les questions sécuritaires et celle du
Sahara-Occidental. Barack Obama pourrait par ailleurs chercher à faire avancer
ce dossier, enlisé dans les sables sahraouis depuis des années mais crucial
pour l'intégration du Maghreb et du Sahel.
Enfin, il faut souligner la proximité du Maroc avec
les pays du Golfe, en particulier l'Arabie Saoudite, ainsi que la montée
progressive de la Chine, qui s'intéresse notamment aux phosphates et aux
produits agricoles marocains. Des pays dont les arguments financiers sont
désormais sans commune mesure avec ceux de l'Hexagone...
Benoit Margo,
Le Huffington Post, 5 avril
2013