Sara Alwani (à gauche), une jeune Tunisienne de 19 ans, a été élue Miss Carthage le 1er avril, à Tunis.
Crédits photo : Nisrine Halali/AFP
Deux concours de beauté s'affrontent dans ce pays en
proie au radicalisme religieux. De quoi restaurer son image, mais sans défilé
en maillots de bain.
Autant lever d'emblée le suspense: non, les candidates
de Miss Tunisie ne défileront pas en maillot de bain, samedi, devant les
caméras de télévision. Pas plus que celles de Miss Carthage ne l'ont fait
dimanche dernier à l'Acropolium, une ancienne cathédrale du XIXe siècle,
dans la banlieue aisée de Tunis.
Deux concours de beauté pour un pays. On connaît cela
en France, on ne l'aurait pas imaginé en Tunisie, confrontée à la montée d'un
radicalisme religieux peu enclin à tolérer ce type d'événement. Le crêpage de
chignon entre organisateurs se déroule en coulisses. Le discours officiel est
plus policé: «Les projets parallèles me font plaisir, assure Bessem Bembli,
orchestrateur de la première édition de Miss et Mister Carthage. Cela prouve
que, petit à petit, on retrouve le paysage tunisien que l'on connaissait.»
Une autre image du pays
Un paysage avec sa spécificité. «Chacun doit adapter
sa Miss», estime Aïda Antar, organisatrice du concours Miss Tunisie depuis
1995, qui est soutenu cette année par l'Office national du tourisme tunisien et
le ministre de la Culture - un indépendant dans le gouvernement islamiste.
«Selon les pays, poursuit-elle, les coutumes ou les traditions sont
différentes.» D'où le bannissement des maillots de bain sur cette terre
musulmane. «On ne porte pas d'habits indécents, on a notre religion!» explique
tout sourire Heiger, 20 ans.
Prétendante au titre de Miss Tunisie, étudiante de
Sidi Bouzid, elle s'apprête à subir une formation de trois semaines, avec
quatorze autres candidates, dans un hôtel de luxe près de Tunis. Un huis clos
loin de sa famille durant lequel elle sera «coachée» pour transformer la jeune
fille à la voix fluette en une représentante assurée de son pays durant un an.
«On ne peut pas se mettre en bikini et s'amuser! rit-elle. Même si moi ça ne me
dérangerait pas, car Dieu seul sait ce qu'il y a dans les cœurs!»
Toutes les candidates sont porteuses d'un projet que
la diffusion télévisée de l'événement pourrait aider à réaliser. L'ingénue
Heiger souhaite ouvrir une salle de sport mixte et gratuite à Sidi Bouzid,
«pour éviter que les jeunes ne tombent dans la drogue». D'autres veulent
secourir les femmes violées ou faciliter le dépistage du cancer du sein dans
les régions reculées.
Toutes participent sans crainte. Razwa, 22 ans,
future hôtesse de l'air «veut changer d'air après la révolution!» Marwa,
21 ans, en prépa d'école d'ingénieur, estime que «c'est bien de s'occuper
de la beauté, de quelque chose de différent de la politique, pour déstresser».
Heiger fait la course en tête grâce aux suffrages des
téléspectateurs, invités à voter par SMS après chaque journée de formation
résumée à la télévision. Encouragée par sa mère, alors que son père était
réticent, elle devient rouge écarlate lorsqu'elle se retrouve pour la première
fois dans les bras d'un garçon lors d'un cours de valse.
Pour Aïda Antar, une Miss doit savoir danser, mais
aussi se tenir, se maquiller ou dresser une table. L'atelier arts de la table
donne une idée des défis: au premier jour de formation, Mme Antar demande
à l'une des candidates à quoi servent les deux verres qu'elle a posés là.
«Celui-ci est pour l'eau, celui-là pour le vin», répond la jeune fille, ravie.
«Heu… tu veux dire pour l'eau et pour le jus de fruit!» s'empresse de corriger
la Geneviève de Fontenay locale. Les caméras de télévision tournent, il ne faut
pas déraper et s'attirer les foudres des radicaux.
Car organiser un tel événement en Tunisie aujourd'hui
peut présenter certains risques. Bessem Bembli a fait appel à une société de
sécurité pour le casting de son concours afin de rassurer les candidates. «Le
contexte est délicat, reconnaît-il. Mais ce genre de concours peut déplaire à
certains autant qu'ils le veulent, la Tunisie n'est pas qu'à eux, c'est aussi
mon pays.»
Un pays à la tradition de tolérance que veut aussi
défendre Aïda Antar. Son credo: redonner une autre image de la Tunisie,
notamment pour sauver la saison touristique. «On n'est pas en guerre civile. Le
pays n'a pas sombré dans l'l'intégrisme total. En organisant une élection de
Miss, ça peut rassurer sur l'état réel de la Tunisie.»
Samedi soir, les Tunisiens pourront donc voir défiler
à la télé les filles de Miss Tunisie. Sans risque de polémique sur un maillot
de bain trop échancré ou non. Cette option ne sera pas un handicap pour la
candidate qui sera désignée pour participer au concours Miss Monde: «La
prochaine édition sera organisée à Bali», jubile Aïda Antar. En Indonésie, le
plus grand pays musulman du monde, le maillot de bain sera aussi remplacé par
une tenue plus conforme aux mœurs locales.
Thibaut Cavaillès
Le Figaro, 4 avril 2013