Mossa Ag Attaher, porte-parole du M.N.L.A
Introduction :
Mes amis de Primo Info avaient pris contact, dès l'année dernière, avec
le Mouvement National de Libération de l'Azawad, organisation touareg non
djihadiste revendiquant l'indépendance de la partie nord du Mali. Ceux-là ont
été balayés par d'autres touaregs, islamistes ceux-là (la milice Ansar Dine,
elle-même épaulée par les djihadistes de toutes nationalités combattant dans
l'AQMI) Complexe situation ... les moins islamistes des rebelles se
retrouvent quand même en opposition frontale avec la France, qui défend avec
les états africains le principe de l'intangibilité des frontières issues de l'ancien
ordre colonial. Quant aux Touaregs, bien que constituant un même peuple, ils
apparaissent bien divisés selon les pays, voir cette interview.
Pour en savoir plus sur ces populations qui ont tant fasciné l'imaginaire
occidental, une introduction ici.
J.C
Le MNLA (Mouvement National de Libération AZAWAD) a fait la Une de
l'actualité lors des événements du Mali. Bien des choses ont été dites sur ce
drame et les médias français se sont tordus les mains devant la prise de
Tombouctou et la fuite éperdue de l'armée malienne. Mais tout n'est pas aussi
simple.
Cet entretien a été mené par Josiane Sberro, Sophie Chauveau et Richard
Rossin, pour Primo. Fidèle à sa vocation, Primo propose un autre éclairage. Il
était important de comprendre ce qui se passe dans cette partie de l'Afrique,
dans ce pays du Mali et connaître un peu mieux les protagonistes de cette
affaire, dont le MNLA. Nous vous proposons cet entretien en deux parties.
Primo :
Merci de nous accorder cet entretien. Tout d’abord, votre mouvement n’étant
connu en France que par des raccourcis médiatiques, pouvez-vous vous présenter
et nous dire quelle est votre fonction ?
Mossa Ag
ATTAHER : Je suis
le porte parole du MNLA de l’ancien Nord Mali. Cette appellation subsistera
jusqu’à notre reconnaissance par l’ONU au nom du droit des peuples.
Primo :
Pouvez vous nous expliquer le mouvement, son histoire et son combat ?
Mossa Ag
Attaher : Le combat
du MNLA ne date pas de janvier 2012. C’est un processus enclenché depuis 1960.
Depuis l’indépendance du Mali.
Dès 1958
avant l’indépendance du Mali, l’ensemble des chefs Touareg ont adressé une
lettre à la France.
En 1960, la
France cède les territoires AZAWAD au Mali. Sur le plan de la sensibilité, le
régime qui s’instaure avec Modibo Keita est entre PC et PS.
Les terres
sur lesquelles les Touaregs nomades faisaient paître leurs troupeaux, leur sont
retirées pour les redistribuer à des agriculteurs sédentaires maliens. Cette
décision ne tient aucun compte des contraintes et traditions culturelles et
éducatives des Touaregs. L’équilibre sociétal est ainsi rompu.
Primo : Il y
a ensuite eu des événements dramatiques.
Mossa Ag
ATTAHER : Tout à
fait. En 1963, une révolte Touareg est bien vite écrasée par le pouvoir malien
car les armes sont inégales. Sabres contre armement lourd. Les révoltés sont
massacrés en public devant femmes et enfants ; les familles sont tenues
d’applaudir au massacre des leurs.
Ce
traumatisme ne s’effacera jamais. Les jeunes qui ont assisté à ce massacre ont
pris en nombre les routes de l’exil vers l’Algérie et les camps militaires de
la Libye de Kadhafi.
Leur passage
dans les troupes libyennes leur permet d’acquérir la solide formation militaire
qui leur a fait défaut en 63.Cette formation et participation se déroulent sous
statut de soldats libyens et non de mercenaires.
Primo :
affrontements, massacres mais aussi catastrophes naturelles.
Mossa Ag
ATTAHER : Bien sûr.
Tous les 10 ans. En 1963, 1973, 1983 : trois périodes d’une terrible sécheresse
qui déciment les troupeaux. Les disettes de 1974 et 1984 ont par ailleurs
augmenté l’émigration des jeunes.
En 1990, il
y a une deuxième rébellion. Les jeunes rejoignent la Libye. Le Front unifié de
l’AZAWAD concerne Tombouctou, Gao et Kidal.
Les
consignes maliennes de répression sont terribles. Formation d’équipes d’élites
de « Nettoyage » les Kocadiens. Les puits des pastoureaux sont empoisonnés. Les
troupeaux sont décimés. Les troupes maliennes ont employé des moyens de guerre
totale : avions et blindés contre les Touaregs.
Primo : Sur
le plan politique, quelle a été l’évolution ?
Mossa Ag
ATTAHER : En 1991,
Traoré est évincé. En 1992 a lieu la signature du Pacte National. La paix est
signée avec le concours de l’Algérie et de la France.
Les Touaregs
seront intégrés à la Fonction Publique et à l’armée malienne. C’est du moins
une promesse. En fait, les touaregs intégrés ne gravissent pas les échelons, ne
bénéficient pas des formations et n'ont jamais de postes de commandement. Le
pacte promet la décentralisation des pouvoirs, la création d’une route
Transsaharienne reliant les trois régions du Nord. A ce jour, la route est
toujours la piste des origines.
Bien que
cautionnés par la France et l’Algérie, ces engagements n’ont pas été tenus.
Tout juste quelques Touaregs enrôlés dans l’armée malienne. Les postes
importants sont tous confiés à des Bambaras.
Aucun accès
pour les Touaregs aux secrets, à la promotion. Ils sont même toujours et
partout appelés « les rebelles ».
Primo : Quel
a été le rôle de la France et de l’Algérie dans le suivi du déroulement des
accords ?
Mossa Ag
ATTAHER :
Strictement aucun ! Rien, malgré les cris de détresse. De 92 à 97 en dépit du
Pacte National, la milice des Kocadiens continue les massacres. En 1996 à Gao
où vit la tribu la plus pacifique, le village est détruit, la population
décimée.150 morts.
La tombe du
plus grand Marabout Touareg à 150 km de Gao est détruite, et le Marabout jeté
en fosse commune. Depuis l'indépendance du Mali, on compte près de 100 000
morts par les milices du gouvernement malien.
Primo : cet
accord s’engageait pourtant dans la durée.
Mossa Ag
ATTAHER : Bien
entendu, mais de 1996 à 2004, aucune promesse n’a été tenue.
En 2006 ont
eu lieu de nouvelles rébellions. Il y a eu un arrêt des massacres et une
demande d’autonomie. C’est un soulèvement qui a touché tout le Nord (Kidal /
Gao/ Tombouctou). Les Touaregs ne s’attaquent qu’aux symboles de l’Etat. Jamais
aux civils.
Primo :
existe-t-il une solidarité de clan entre les Touaregs du Mali et du Niger ?
Mossa Ag
ATTAHER: Ce sont de
simples soutiens informels. Par contre, il faut bien noter que les Touaregs du
Mali n’ont aucun rapport avec les Sahraouis ou le Polisario, car eux ont
déclaré une république arabe, ce qui n’entrait pas dans notre orientation.
Primo : Les
Touaregs passés aux côtés de Kadhafi sont tout de même des mercenaires,
c'est-à-dire d’une identité autre que celle du territoire défendu ?
Mossa Ag
ATTAHER : Non, ils
ne sont pas des mercenaires. Ils n’ont violé aucune identité propre ! N’ayant
ni passeports ni carte d’identité au Mali, ils ont pris la nationalité
libyenne.
Le Mali n’a jamais fait de nous des citoyens maliens. Sans papier ni droits civils, nous sommes en exil sur notre propre territoire !
Le Mali n’a jamais fait de nous des citoyens maliens. Sans papier ni droits civils, nous sommes en exil sur notre propre territoire !
2006 est
l’année de la 3ème rébellion menée par Ibrahim Bahanga. Les accords d’Alger
prévoient la démilitarisation du Nord et l’implication des Touaregs contre le
narcotrafic et le terrorisme islamique qui traverse tout le territoire Touareg.
Il nuit violemment à nos ressources touristiques et nomades. Mais cet accord
n’a eu aucun résultat sur le terrain.
En 2010,
tous les jeunes Touaregs se réunissent à Tombouctou pour lancer le MNA. Ce sont
de jeunes Touaregs qui ont fait des études. Ils constituent un parti politique
et rédigent un Cahier des Charges pour l’Etat malien. Mais l’Etat malien
envahit la réunion et arrête les participants.
Primo :
c’est à compter de ce jour que le MNA (Mouvement National de l’AZAWAD) devient
MNLA (mouvement National de Libération de l’AZAWAD) ?
Mossa Ag
ATTAHER : Ne
pouvant mener la lutte sur le seul plan politique, le MNLA a deux instances,
l’une politique qui oriente la lutte, l’autre militaire avec une base militaire
créée dans les montagnes. Ce sont ces troupes qui ont procédé à l’attaque de la
garnison de Ménaka, le 17 janvier 2012
Primo :
Financés par qui ?
Mossa Ag
ATTAHER : 99 % des
Touaregs ont déserté l’armée malienne. Les soldats Touaregs ont quitté la Libye
avec beaucoup d'armes et une excellente formation militaire. C’était
indispensable, car notre mouvement n’est soutenu par aucun pays, ni aucune
institution. Nourriture et carburant nous parviennent grâce à une mobilisation
nouvelle de la diaspora Touareg.
Primo :
Quelles sont vos relations avec les Touaregs d’Algérie ?
Mossa Ag
ATTAHER : Nous,
Touaregs du Mali n’avons aucune connexion avec les Touaregs du Hoggar ni ceux
de Tamanrasset.
Ceux
d’Algérie sont protégés et favorisés par le gouvernement algérien qui tient à
son pétrole et à son gaz ; au niveau politique, ils sont à fond dans le système
algérien.
De nombreux
réfugiés de l’AZAWAD se sont sauvés vers leurs frères en Algérie, mais ils ont
été mal reçus et mal traités.
Un Touareg
qui se met au service d’un pays et ignore ou renie ses frères, n’a plus que le
chèche du Touareg, car il accepte d’être à l’aise dans un système oppresseur
sur le plan des identités. Le Touareg tient aux valeurs de solidarité et de
sang de sa famille.
Josiane Sberro, Sophie Chauveau & Richard Rossin
© Primo Info , 16 mai 2012