Plusieurs conclusions découlent de l’opération «Pilier
de défense». Mais une, en particulier, a de quoi inquiéter : Israël ne possède
qu’une défense partielle contre les missiles.
Le récent conflit entre Israël et le Hamas offre un aperçu sur la stratégie de défense régionale d’Israël.
Pendant de
nombreuses années, l’Iran et ses alliés, installés aux frontières de l’Etat
hébreu, ont oeuvré pour créer des bases de lancement de missiles et de
roquettes, destinées à attaquer le point sensible du pays : sa population
civile.
Et ce projet
iranien, qui a déjà pris corps à Gaza et au sud du Liban, constitue, jusqu’à
maintenant, une sérieuse menace à laquelle Israël doit faire face. Car depuis plusieurs
années, la République des Mollahs s’emploie à offrir au Hezbollah, au Hamas et
au djihad islamique, les moyens d’attaquer Israël sur son front arrière, de
causer des dommages importants, et de paralyser la vie quotidienne.
Cette
stratégie a plusieurs buts : tout d’abord, permettre aux factions terroristes
de Gaza de concrétiser leur idéal de guerre éternelle, où les cessez-le-feu ne
sont que des répits avant le prochain round. Mais aussi, décourager Israël de
se battre. Quand les Gardiens de la révolution islamique ont supervisé les
bases de roquettes, ils espéraient que d’une part, sur le front local, Israël
cesserait de pratiquer des éliminations ciblées sur les terroristes de Gaza. Et
d’autre part, sur un plan plus régional, ils pensaient dissuader Israël
d’attaquer les sites nucléaires iraniens.
De même, le
Hamas a cru, à tort, qu’avec des hommes de sa mouvance au pouvoir en Egypte,
Israël n’agirait pas.
Mais comme
l’a prouvé l’opération «Pilier de défense» en novembre dernier, la tentative de
dissuader Israël de se défendre a échoué. L’armée de l’air israélienne a pris
l’initiative d’éliminer le chef militaire Ahmed Jaabari lors d’une opération
ciblée, prenant tout le monde de court : le Hamas, qui s’en est trouvé très
choqué ; et l’Iran, en dépit de ses continuelles crises avec le mouvement
gazaouï (les relations entre les deux se sont refroidies depuis que le Hamas
soutient les rebelles syriens).
Jusqu’à
Beyrouth ?
L’un des
principaux facteurs qui a permis à Israël d’agir librement, malgré la menace
des roquettes : son système de défense, le Dôme de fer. Les cinq batteries
déployées dans le sud et le centre d’Israël ont intercepté 87 % des projectiles
lancés vers les régions habitées. Tsahal a pu rester fidèle à son plan : une
attaque uniquement aérienne et limitée à une semaine.
Le but était
de restaurer le pouvoir de dissuasion d’Israël, condition nécessaire pour
stopper la menace quotidienne des roquettes sur le sud du pays.
Seul
problème, cette active défense au service d’une offensive israélienne ne
fonctionne que vis-à-vis de Gaza.
Face à la
principale base de roquettes iranienne de la région, celle du Hezbollah au
Liban, Israël n’est pas prêt. Or, l’organisation terroriste chiite a déjà
amassé plus de 50 000 missiles qui constituent tous un danger pour Israël.
Ainsi, ce
n’est sans doute pas par hasard si peu avant l’arrêt des tirs de roquettes en
provenance de Gaza, lors de l’opération «Pilier de défense», le ministre de la
Défense a testé avec succès le «Kela David», littéralement la «Fronde de David»
ou la «Baguette magique». Un système conçu pour intercepter des roquettes de
courte à longue portée, ainsi que des missiles de croisière. Défense parfaite
contre la menace du Hezbollah, il n’a qu’un seul défaut, celui de ne pas être
opérationnel avant 2014.
Or, si
l’Iran poursuit son programme d’enrichissement d’uranium, c’est au printemps
2013 qu’Israël devra prendre une décision quant à la menace nucléaire des
Mollahs.
Le Dr Ely
Karmon, chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme au
Centre interdisciplinaire d’Herzliya, renchérit : «Le vrai problème est
l’arsenal de roquettes du Hezbollah. Ils sont dotés de Katiouchas, de missile
longue portée M600, de Scuds et de Fajr 3 et 5. C’est une menace directe qui
pourrait très bien se concrétiser au printemps, quand il faudra trancher sur le
problème de l’Iran. Si les Iraniens ont armé le Hezbollah de 50 000 roquettes,
ce n’est pas pour rien. Ce front que représente le Hezbollah constitue une
menace très sérieuse. Peut-être Tsahal devra-t-elle même aller jusqu’à
Beyrouth».
Les armes de
l’Iran
Pour le
moment, on ne sait si l’armée israélienne prévoit de s’aventurer de nouveau
jusqu’à la capitale libanaise. Une chose est sûre : les systèmes de défense
aérienne n’ont jamais été considérés comme la riposte parfaite aux tirs de
roquettes.
Certes, leur
grande efficacité permet toutefois à Tsahal de planifier ses attaques aériennes
et terrestres. Pour l’heure, la parade parfaite n’existe pas. Mais une
offensive terrestre qui mobiliserait une grande partie de l’infanterie et des
corps de blindés, secondée par une agressive campagne aérienne, pourrait bien
sûr assurer une défense efficace. Plus vite les forces armées terrestres
parviendraient aux positions du Hezbollah, plus vite les tirs de roquettes
cesseraient.
«Pour en
revenir au dernier conflit à Gaza, la stratégie iranienne a perdu de son
prestige», ajoute Karmon. «Mais pour autant, Téhéran a quand même marqué des
points dans cette confrontation. Les chefs du Djihad islamique et celui du
Hamas, Ismail Haniyeh, ont tenu à faire clairement savoir que ce sont des armes
iraniennes qui leur ont permis d’attaquer Israël. Et le Djihad islamique est le
premier à avoir tiré sur Tel-Aviv, là encore, grâce à l’armement des Mollahs.
Il faut se
rappeler qu’il s’agit d’une organisation terroriste, alliée de l’Iran.» Karmon
poursuit son analyse sur l’alliance entre le Hamas et l’Iran. Il revient sur la
déclaration de Moussa Abou Marzouk, du bureau politique du Hamas, ces dernières
semaines : le Hamas continuerait à recevoir des cargaisons d’armes iraniennes
pour remplir ses stocks de roquettes de longue portée Fajr et de moyenne portée
Grad. « J’y vois un message du Hamas à l’Egypte, où ils leur demandent la
liberté d’importer des armes à Gaza», analyse le spécialiste.
Le Hamas,
quant à lui, joue sur les deux tableaux : il a rejoint avec l’Egypte le nouvel
axe sunnite, mais a maintenu son accès à l’armement iranien. D’ailleurs,
l’Iran, selon diverses publications, aurait déjà envoyé un chargement et serait
bien déterminée à faire parvenir d’autres cargaisons.
L’ennemi
s’améliore
Outre ses
bases au Liban et à Gaza, l’Iran possède des centaines de missiles balistiques
comme le Shihab 3 (basé sur un missile nord-coréen) et le BM25 (acheté à la
Corée du Nord en 2008), tous pointés vers le territoire israélien.
Israël a
déjà développé un système de défense, le missile Arrow, pour les missiles
balistiques, et le système Arrow 3, pour les missiles après leur mise en
opération. «La question est de savoir quel est l’état des radars du système
Arrow», note le général de réserve Giora Eiland, ancien chef du Conseil de
Sécurité nationale. «Est-ce que ces systèmes peuvent devancer les missiles
iraniens ?» Eiland ne voit pas en quoi la performance du Dôme de fer pourrait
être efficace face à l’Iran. Il émet aussi des doutes sur le terme «protection
multicouches», employé par le ministre de la Défense Ehoud Barak. «Croire que
les systèmes de défense Arrow 2 et 3, la ‘Baguette magique’ et Dôme de fer sont
tous efficaces contre un même missile est faux», affirme Eiland «Même s’il y a
un peu de chevauchement entre eux, chaque système se défend contre une arme
différente. Le Dôme de fer peut fournir une défense contre les roquettes du
Hezbollah, mais, pour le moment, Israël n’a pas de réponse défensive contre les
projectiles d’une portée de 200 kilomètres. Il faut savoir que l’ennemi
s’améliore : il détient plus de roquettes, de portée plus longue, et des ogives
plus lourdes. Il faut se rappeler que même si Dôme de fer a fourni une bonne
défense, elle n’était pas parfaite.»
Chiites vs.
Sunnites
Shlomo
Brom, général de brigade réserviste, et chercheur à l’Institut pour les études
de sécurité nationale (INSS) de l’université de Tel-Aviv, est d’accord. Bien
qu’Israël ait pu défier le programme de roquettes iranien, on est loin, selon
lui, de pouvoir neutraliser la menace. Après tout, lors du conflit de novembre,
les roquettes sont parvenues au coeur même du pays. «Aux derniers instants du
conflit, les organisations terroristes n’ont cessé de lancer des roquettes et
je parie que c’est ce qui va se passer dans le futur : il y aura un nombre
incalculable de missiles, du jamais-vu.» Michael Segall, expert des problèmes
stratégiques au Centre des Affaires publiques de Jérusalem, a une vue plus
optimiste. Dans une analyse récemment publiée, il présente le conflit dans un
contexte plus large, celui de la rivalité entre les camps chiite et sunnite. Le
camp chiite, composé de l’Iran, du régime du président Bashar Assad et du
Hezbollah, s’oppose au nouveau camp sunnite, fait de l’Egypte, de l’Arabie
Saoudite, du Qatar et de la Turquie. Des tensions qui jouent un rôle
déterminant dans les conflits du Moyen- Orient : en Syrie, dans la région
palestinienne, à Bahreïn et en Jordanie.
Selon
Segall, le paysage politique de la région en sera très modifié : l’Egypte va
jouer un rôle déterminant dans le nouvel ordre régional et se confrontera donc
à l’Iran. La Turquie, avec le problème de la Syrie, est déjà en opposition avec
Téhéran quant à son hégémonie et son influence régionales. « Dans ce contexte,
le Dôme de fer est un succès. L’habileté d’Israël à vaincre les roquettes
iraniennes contribue à affaiblir le rôle de l’Iran dans la région et à
l’isoler», estime l’expert.
Toutefois,
que la guerre de Gaza ait desservi ou servi l’Iran, le compte à rebours
continue bel et bien.
Yaacov
Lappin
Edition
française du Jerusalem Post, 18 décembre 2012
Nota de Jean Corcos :
Il y a des fois où on ne réjouit pas d'avoir raison : peut-être que certains de mes lecteurs / auditeurs se souviennent de mon émission du 4 novembre dernier, lorsque j'interrogeais le journaliste israélien Stéphane Juffa à propos de la menaces des dizaines de milliers de missiles du Hezbollah, qui risqueraient de "saturer" les batteries de défense du pays, en nombre notoirement insuffisant. Hélas, la majorité des articles publiés après le dernier "round" contre le Hamas à Gaza reviennent sur ce constat !
Nota de Jean Corcos :
Il y a des fois où on ne réjouit pas d'avoir raison : peut-être que certains de mes lecteurs / auditeurs se souviennent de mon émission du 4 novembre dernier, lorsque j'interrogeais le journaliste israélien Stéphane Juffa à propos de la menaces des dizaines de milliers de missiles du Hezbollah, qui risqueraient de "saturer" les batteries de défense du pays, en nombre notoirement insuffisant. Hélas, la majorité des articles publiés après le dernier "round" contre le Hamas à Gaza reviennent sur ce constat !