Mirages 2000 français survolant le Mali
"Paris
a mis tout le monde devant le fait accompli", commentait dimanche 13 janvier
Hacen Ouali dans le quotidien algérien El Watan.
Même "le gouvernement algérien qui, depuis le début du conflit de
l'Azawad, s'est constamment dit opposé à une présence militaire occidentale au Malie,
semble désormais avoirchangé son fusil d'épaule", poursuit Zine
Cherfaoui, toujours dans El Watan. Largement soutenue sur la scène nationale
comme internationale, l'intervention française au Mali, qui est entrée lundi
dans son quatrième jour, fait grincerles dents de la presse algérienne - alors
que le gouvernement algérien, initialement circonspect, soutient désormais
l'intervention française.
"L'intervention
militaire française au Mali a été baptisée du nom de code Serval. Pour ceux qui
ne le savent pas, le serval est un petit félin africain qui a la particularité
d'uriner trente fois par heure pour marquer son territoire. Justement..., débute, narquois, l'éditorial du quotidien Liberté. La France ainsi décidé de faire l'impasse
sur les résolutions onusiennes pour partir en guerre contre le terrorisme au
Sahel. Toute seule, comme le serval, elle n'a pas résisté à la tentation
épidermique de revenir dans son ancien précarré pour montrer à tout le monde qu'elle est la seule qui connaît le
mieux les intérêts des Maliens. Leurs anciens colonisés".
"LA RÉALITÉ DE LA FRANÇAFRIQUE"
L'interventionnisme français
ravive, dans la presse algérienne, les mauvais souvenirs du colonialisme et de
la Françafrique. En dépit de "conséquences terribles pour la
sous-région, poursuit Liberté, François Hollande a démontré qu'il
ne peut rien changer à la réalité de la Françafrique." "Quand
l'intérêt français est menacé en Afrique (Côte d'Ivoire, Rwanda, Tchad, Gabon,
Centrafrique ...), Paris dégaine son costume de gendarme et envoie ses
hélicoptères. Protéger les gisements d'uranium du Niger vaut tous les
sacrifices de dépenses militaires même en pleine crise économique",
poursuit l'éditorial.
Preuve d'une
décision purement intéressée, estime le quotidien L'Expression
dans son éditorial, "la France est bien seule à faire le coup de feu au
Mali". Aucune des grandes puissances occidentales ne semble prête à
lui emboîter le pas. "Cet isolement de la France contredit l'argument
de 'la légalité internationale' avancé par le président français pour justifier
son intervention qui a, de toute évidence, été décidée dans la
précipitation", poursuit L'Expression. Préserver les activités
françaises dans le pays et pourquoi pas s'assurer une nouvelle base militaire
dans le pays : voilà bien "la mouche qui a piqué Hollande".
AFFAIBLIR L'ALGÉRIE
"La
France ne chercherait-elle pas à déstabiliser l'Algérie ?", osent certains commentateurs. Le Temps d'Algérie relaie une tribune signée
par Laid Seraghni, un analyste qui intervient régulièrement sur les questions
internationales et de géostratégie, dans Cameroonvoice. "Derrière
l'enjeu malien, la France coloniale cherche à punir l'Algérie",
affirme ce spécialiste. "Cette crise n'est qu'une étape pour atteindre in
fine l'Algérie, dont le Sud est cerné par l'armée française qui opère en Libye,
en Côte d'Ivoire, au Niger, en Mauritanie, au Tchad et au Mali",
prévient l'analyste, persuadé que "la France cherche par les armes à
réaliser un rêve colonial". Pour lui, derrière le Mali, c'est donc
bien l'Algérie qui est visée et "la préservation des intérêts de la
France dans la région du Sahel".
Une position
partagée par le professeur Ahmed Adimi , qui estime dans un entretien au
quotidien Le Soir d'Algérie
que "l'intervention militaire française au Mali est une des étapes d'un
plan visant l'installation de forces étrangères dans la région du Sahel".
Le politologue algérien Menas Mesbah va même plus loin, confiant au quotidien Le Temps d'Algérie, que "la
France mène, au Mali, une guerre par procuration au profit des Etats-Unis
d'Amérique, lui permettant également de défendre ses intérêts
historiques". "C'est un nouveau jeu mondial dans lequel les
USA confient des guerres à d'autres pays parmi ses alliés",
ajoute-t-il.
Seul voix
discordante à questionner la position des autorités algériennes, Ferhat Aït Ali
s'interroge, dans Le Matin, sur une
stratégie qui n'a jamais semblé "ni claire ni cohérente".
Jusqu'à soulever quelques doutes sur "les déclarations contradictoires
au gré des évènements, les accointances plutôt anti-maliennes et en même temps
anti-azawadienne avec les narco-islamistes d'Ansar Eddine alliés effectifs et
objectifs d'AQMI dans cette région, [qui] rendaient cette position plus que
suspecte aux yeux des voisins et du reste du monde". Et si la position
algérienne ne visait seulement, par "tous les stratagèmes",
qu'à "saborder les prétentions autonomistes des Touareg de l'Azawad de
l'intérieur même de cette communauté", interroge-t-il.
L'ALGÉRIE ENTRAÎNÉE DANS LA GUERRE ?
Quels que
soient les intérêts en jeu, "l'intervention militaire en cours n'est
pas et ne pourra être la panacée à la crise malienne comme le prétendent les
partisans maliens et étrangers de la solution militaire", analyse Kharroubi Habib dans le Quotidien d'Oran. "Au vu de
l'étendue et de la configuration du terrain d'opérations, il ne faut pas en attendre
l'éradication totale et définitive de ces groupes armés, d'autant que le tout
militaire qui l'inspire ne s'embarrasse nullement de répondre favorablement aux
revendications légitimes des populations du nord du Mali et que partagent une
grande partie des éléments enrôlés dans les groupes armés qui sévissent dans
cette région du Mali", poursuit-il, prédisant "l'enlisement
dans la guerre" et "la pérennisation de l'état
d'insécurité".
Or, le "bourbier"
qui s'annonce pour la France au Mali, poursuit le politologue, aura des
répercussions sur l'Algérie, qui "est tenue de sécuriser ses frontières
et renforcer ses forces au niveau des frontières. Ce qui alourdira sa tâche et
exigera de l'Algérie énormément de moyens et, donc, de dépenses". Il
n'envisage toutefois pas d'intervention militaire de son pays, à la différence
de Laid Seraghni qui l'estime indispensable pour protéger les frontières et les
populations. "(...) Les frontières [de l'Algérie] sont si
grandes que l'Etat ne peut contrer les infiltrations des groupes terroristes d'Al-Qaida
et l'afflux des populations à la recherche d'un refuge sur son
territoire."
L'Amenokal
du Hoggar, chef traditionnel des Touareg algériens, prédit ainsi que cette "guerre
déclarée à nos portes engendrera le chaos" et aura de "graves
répercussions" sur toutes les villes du sud de l'Algérie, dans El Watan. Comme en
témoigne déjà, selon lui, l'arrivée de nombreux réfugiés.
Hélène
Sallon,
Le Monde, 14
janvier 2013