Didier Lapeyronnie
Nous allons revenir en
France pour cette première émission de la nouvelle année civile, et aborder un
sujet qui inquiète énormément d'auditeurs de la fréquence juive, puisqu'il
s'agit de l'antisémitisme. 2012 a été une très mauvaise année, on le sait avec
le drame de l'école de Toulouse et la très forte hausse des agressions
physiques qui ont suivi, mais il s'agit d'un phénomène qui remonte maintenant à
longtemps, exactement depuis le début des années 2000 avec la seconde
Intifada. Beaucoup ont établi une relation directe de cause à effet, on a parlé
"d'importation du conflit israélo-palestinien", mais des spécialistes
font une analyse plus profonde du phénomène, et nous donnent des clés peut-être
encore plus inquiétantes. Parmi eux, le professeur Didier Lapeyronnie. Didier
Lapeyronnie, est sociologue, professeur de sociologie à l'Université de Paris
Sorbonne, et au delà de l'antisémitisme il s'intéresse depuis longtemps à la
jeunesse issue de l'immigration, citons quelques uns de ses ouvrages :
"Ghetto urbain, ségrégation, violence, pauvreté en France
aujourd'hui" aux éditions Robert Laffont ; "L'individu et les
minorités, la France et la Grande Bretagne face à leurs immigrés", aux
Presses Universitaires de France. Il publie aussi ce mois de janvier un nouvel
ouvrage avec Michel Kokoreff, intitulé "Refaire la cité - l'avenir des
banlieues" (coédition Le Seuil - La République des idées). Le CRIF a
publié, sous sa signature, une brochure très intéressante
intitulée "La demande d'antisémitisme, antisémitisme, racisme et exclusion
sociale". Alors disons-le tout de suite à mes lecteurs et auditeurs, à qui
je recommande d'acquérir ce numéro 9 des études du CRIF, ce n'est pas une
lecture très simple ; il refuse les raccourcis qui hélas, ont du succès dans la
communauté juive ; mais en même temps il fait une analyse à la fois psychologique,
sociologique et culturelle de ces
jeunes vivant dans les quartiers populaires, et parmi lesquels un
antisémitisme profond semble s'êtres durablement installé.
Parmi les questions que je
poserai à Didier Lapeyronnie :
- Vous citez plusieurs reportages dans cette
brochure, vous citez aussi souvent l'ouvrage qui a décrit en premier le
phénomène, "les Territoires perdus de la République", mais les propos
que vous rapportez, le vocabulaire de ces jeunes que vous décryptez, est-ce que
c'est aussi le fruit d'entretiens avec eux ?
- A vous lire on a l'impression que ce n'est
pas finalement l'idéologie qui explique cette parole antisémite banalisée dans
certaines banlieues et dans certaines cités : vous évoquez bien au début de
votre étude ce qu'on appelle "la nouvelle judéophobie", vous parlez
aussi, je vous cite, de la "conjonction politique entre certaines franges
de l'extrême-gauche, de l'islamisme et de l'alter mondialisme qui associent le
sionisme au racisme" ; mais vous démentez l'existence d'un "climat
antisémite" ; et surtout vous dites
que ces jeunes sont peu politisés : sur quoi vous appuyez-vous pour dire cela
car, vu par la majorité des Juifs, en fait on a bien un retour de
l'antisémitisme ?
- Vous dites que ces jeunes utilisent le mot
"feuj" pour dire "mauvais", cela devient un code, dans
lequel une catégorie de la population est enfermée dans "un cercle négatif",
mais à un moment donné ce vocabulaire devient la norme ; si quelqu'un dans le
groupe se révolte, alors il est exclus. Mais vous dites aussi que c'est
toujours un "jeu à trois", parce que justement ces jeunes savent très
bien que certains peuvent être choqué
par ces mots antisémites. A propos des médiateurs, responsables administratifs,
associatifs et autres qui nient la réalité de cet antisémitisme : est-ce que ce
déni vient de la peur de déplaire à ces jeunes et de perdre le contact avec eux
? Est-ce que le tabou de l'antisémitisme reste tellement fort que ces jeunes
évitent de l'afficher devant des témoins gênants ? Ou est-ce encore de
l'idéologie, le racisme dont sont victimes ces jeunes pour se faire une place
dans la société étant considéré, par une certaine gauche, comme plus grave que
leur antisémitisme ?
- Vous dites en conclusion qu'il ne faut pas
parler de "communautarisme" à propos de cet antisémitisme là, qui
serait lui même l'expression d'un vide, dépourvu de sens, passif même s'il peut
être source de violence. On a eu deux cas récents, en France d'antisémitisme
conduisant à des assassinats : celui de Mohamed Merah cette année, lui
clairement djihadiste et inspiré par l'islamisme radical ; et Youssouf Fofana
et sa bande de Bagneux, conduisant au meurtre atroce d'Ilan Halimi, et là on
était plutôt dans le cadre de votre étude. Les deux formes d'antisémitisme
sont-elles porteuses des mêmes dangers ?
Un sujet grave pour commencer 2013, donc, et qui hélas
reste d'actualité année après année depuis le début de notre siècle : soyez
nombreux à l'écoute !
J.C