Mes amis lecteurs commencent à le savoir : mon émission, comme ce blog
associé, ne sont pas centrés sur Israël, mais bien sûr la sécurité, la prospérité
et le devenir du pays restent au premier plan de mes pensées ; et, à moins
d'être un esprit obtus ou un incurable raciste, la "connaissance du monde
musulman" fait partie aussi des données de base pour décrypter son avenir,
tant il reste menacé dans ses étroites frontières ; mais lorsque les
projecteurs de l'actualité se braquent uniquement sur le pays,
lorsque heureusement les Israéliens et eux-seuls font l'évènement - et ce fut le
cas hier, avec les élections -, c'est mon devoir d'analyser cette actualité et de partager
mes impressions avec vous.
Pourquoi le cacher, d'abord ? Je suis soulagé bien qu'imparfaitement
heureux. Soulagé que le "coup de barre à droite" annoncé ne se soit
pas produit, loin s'en faut ; et imparfaitement heureux, car aucun parti
d'opposition n'est parvenu à "doubler" la coalition sortante.
Je n'ai jamais dissimulé mon manque de confiance vis à vis du Premier
Ministre sortant et de son équipe, qui ont poussé le pays à s'isoler, à se
"bunkeriser" alors même que sa fragilité ne le lui permettait pas. A
cet égard, le choix désastreux d'Avigdor Lieberman comme Ministre des Affaires
Etrangères - le rapprochement de la personnalité et du poste en fait presque un
oxymore - annonçait de mauvaises relations avec l'allié américain, dirigé aussi
il est vrai, par un Président peu chaleureux envers l'état juif. Cette alliance
avec Lieberman s'est traduite au final par une liste commune face aux
électeurs, qui inspira à l'opposition de la gauche pacifiste l'affiche "Bibierman"
- le visage de "Bibi" partagé pour moitié par celui de son colistier
: or l'affiche à la sortie, tirée de la presse israélienne, mixe le visage de
Netanyahou avec celui de Yaïr Lapid, vrai vainqueur des élections avec 16 % des
voix et 19 sièges selon les premières estimations ... d'où mon illustration et
bien sûr le titre choisi.
Selon les estimations basées sur 99,5 % des votes, les résultats sont les
suivants (les deux sièges de Kadima restant sujets à caution) :
-
Likud-Yisrael
Beiteinu: 31
-
Yesh Atid
(centristes, parti de Lapid) : 19
-
Travaillistes
: 15
-
Shass
(orthodoxes séfarades) : 11
-
Habayit
Hayehudi ("La maison juive, parti de Naphtali Bennet) : 11
-
United Torah Judaism
(orthodoxes ashkénazes) : 7
-
Hatnua
(parti de Tzipi Livni) : 6
-
Meretz : 6
-
United Arab
List-Taal: 5
-
Hadash
(parti arabe) : 4
-
Balad (parti
arabe) : 3
-
Kadima: 2
Les journaux
parlent donc d'un pays "coupé en deux", avec si on compte le total des
partis "de droite" 60 députés, et ceux "de gauche ou du
centre" 60 également : cela ouvrirait, en théorie, le choix du Premier
Ministre ; or en réalité, les listes arabes - qui auront 12 députés - ne sont pas
intégrables dans une majorité, car ces partis sont hélas
"antisionistes" ; la vraie opposition "de gauche" représente
en vérité 21 députés, soit 17,5 % des voix (la faiblesse récurrente des Travaillistes n'étant pas compensée par la bonne santé des
"pacifistes" du Meretz).
Tzipi Livni,
avec 5 % des votants, aura raté son objectif de reprendre les suffrages du
parti qu'elle mena aux élections en 2009, Kadima aujourd'hui presqu'entièrement
laminé : or c'est la seule qui, avec le Meretz, avait mis comme priorité la
reprise des négociations avec les Palestiniens, contrairement par exemple à
Yaïr Lapid et à Shely Yachimovich chez les Travaillistes ; preuve donc que les
questions de sécurité ou de diplomatie n'étaient pas la question centrale pour
les électeurs. Et deux éléments supplémentaires viennent le confirmer : par
contraste, Naphtali Bennet et sa liste ultra-nationaliste dont on nous faisait
croire qu'il serait le troisième, voir le second parti, n'arrive qu'au même
niveau des religieux du Shass ; et les enquêtes d'opinion montraient bien que
les questions sociales (coût du logement, érosion du pouvoir d'achat des
classes moyennes) étaient en tête des priorité pour les électeurs ...
Soulagement
donc, hier soir, car parmi les consultants qui se sont exprimés sur les ondes de
Judaïques FM pour notre émission spéciale, Jacques Bennillouche l'a
parfaitement résumé : "La société israélienne est beaucoup moins de droite
qu'on le pensait" ; j'ajouterais : "que l'on aurait pu le penser en
lisant ce qu'écrivent la blogosphère et les Israéliens francophones dans les
réseaux sociaux" ; et j'ajouterais aussi "qu'auraient espéré les
journalistes militants de la presse française, toujours ravis de donner une
image fascisante du pays". Mais inquiétude aussi en entendant ce qu'a dit
Dominique Moïsi, toujours fin analyste à la fois des société démocratiques et
de la géopolitique internationale - les deux étant plus souvent liées qu'on
l'imagine : "Soumis à une majorité fragile" (et il est vrai qu'unir par
exemple les laïcs de Yesh Atid et les religieux orthodoxes tiendra de la
quadrature du cercle), "Netanyahou se sentira plus faible ; or les
dirigeants faibles se replient sur eux-mêmes, et n'ont pas le courage de bouger".
L'avenir
seul nous dira ce que fera "Bibi 3" ; mais, déjà, il ne sera pas
l'otage des extrémistes sur sa droite, et c'était inespéré !
Jean Corcos