Selon divers experts
français, il existe plusieurs faisceaux d'indices qui laissent supposer un lien
entre le Qatar et les groupes islamistes armés installés au Nord-Mali. Revue de
détails.
Depuis la prise de contrôle du Nord-Mali par trois mouvements djihadistes
en juin 2012, les accusations se multiplient autour d'un potentiel soutien du
Qatar à ces groupes armés. Dernière en date : la semaine dernière, la
présidente du Front national, Marine Le Pen, et la sénatrice
communiste Michelle Demessine ont, chacune de leur côté, dénoncé le
soutien financier de Doha apporté aux forces islamistes.
"Si le Qatar ne veut pas que
la France s'engage au Mali, c'est parce qu'elle vise à y déloger les éléments
les plus fondamentalistes alliés de l'émirat partout dans le monde",
s'est notamment indignée Marine Le Pen. Quelques jours plus tôt, le Premier
ministre de l'émirat, le cheikh Hamad ben Jassem al-Thani, a estimé que le
recours à la force ne règlerait pas le problème et a appellé au dialogue.
Mais qu'en est-il exactement de ces incriminations ? Pour l'heure,
plusieurs observateurs s’interrogent sur d'éventuels liens sans avoir encore
trouvé de réponse définitive. "Même s’il n’existe aucune preuve formelle
concernant une possible connexion entre Doha et ces groupes djihadistes, des
faisceaux d’indices laissent fortement germer le doute", reconnaît André
Bourgeot, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et
spécialiste du Mali.
À l’origine de ces doutes, un article du Canard enchaîné, datant du 6 juin
dernier, intitulé : "'Notre ami du Qatar' finance les islamistes du
Mali". Le journal d’investigation rapportait que l’émir du Qatar avait
livré une aide financière aux mouvements armés qui ont pris le contrôle du nord
du Mali. Il citait une source au sein de la Direction du renseignement
militaire français (DRM) selon laquelle "les insurgés du MNLA (Mouvement
national de libération de l'Azawad, indépendantiste et laïc, NDLR), les
mouvements Ansar Dine (proche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique) et Mujao
(Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) [avaient] reçu
une aide en dollars du Qatar". Si l’hebdomadaire ne précisait pas les
montants de cette aide ni le mode d’attribution, il avançait néanmoins que les
autorités françaises étaient informées des agissements des Qataris dans le nord
du Mali.
Un mois plus tard, c’est Sadou Diallo, le maire de Gao, ville située dans
le nord du pays, qui accusait le Qatar de soutenir les islamistes basés dans la
zone. "Le gouvernement français sait qui soutient les terroristes. Il y a
le Qatar, par exemple, qui envoie soi-disant des aides, des vivres tous les
jours sur les aéroports de Gao, Tombouctou, etc", déclarait-il sur l’antenne de la
radio française RTL.
Polémique autour de l’aide humanitaire qatarie
L’été dernier, la présence d’au moins quatre membres de l’organisation humanitaire du Croissant rouge qatari a alimenté ces soupçons. Les rebelles touareg du MNLA estimaient alors que le déploiement de cette ONG à Gao - la seule autorisée par les djihadistes à entrer au Nord-Mali - était la preuve du soutien de l’émirat aux combattants islamistes. Un membre du MNLA, interrogé par l’AFP sous couvert d’anonymat, indiquait fin juin que les humanitaires qataris, dont la sécurité était assurée par des membres du Mujao, étaient principalement là pour distribuer des biens, comme de l’huile, du sucre, du riz et du thé. Un moyen pour Doha, selon lui, "d’aider le Mujao à se rapprocher de la population".
L’été dernier, la présence d’au moins quatre membres de l’organisation humanitaire du Croissant rouge qatari a alimenté ces soupçons. Les rebelles touareg du MNLA estimaient alors que le déploiement de cette ONG à Gao - la seule autorisée par les djihadistes à entrer au Nord-Mali - était la preuve du soutien de l’émirat aux combattants islamistes. Un membre du MNLA, interrogé par l’AFP sous couvert d’anonymat, indiquait fin juin que les humanitaires qataris, dont la sécurité était assurée par des membres du Mujao, étaient principalement là pour distribuer des biens, comme de l’huile, du sucre, du riz et du thé. Un moyen pour Doha, selon lui, "d’aider le Mujao à se rapprocher de la population".
L'émirat a, lui, officiellement démenti un tel engagement au Nord-Mali. Sur
le terrain, l’un des quatre membres du Croissant rouge qatari s’est aussi
défendu en affirmant, le 25 juin à l’AFP, être "venu à Gao pour évaluer
les besoins de la population en terme de soins, d’eau et d’électricité". À
l'automne, les services de renseignements français ont assuré, à l’issue d’une
enquête de terrain, que le Qatar n’avait pas envoyé d’agents sous couverture
humanitaire auprès des islamistes.
"Doha joue un rôle partout où il y a des mouvements islamistes"
Pas de preuves, donc. Pour autant, Éric Denécé, directeur du Centre
français de recherche sur le renseignement (CF2R), reste persuadé que
"Doha joue un rôle partout où il y a des mouvements islamistes. Tout comme
c’était le cas en Libye et que c’est le cas en Syrie." Le Qatar a, en effet,
reconnu joué un rôle dans ces pays auprès des islamistes : Le chef d'état-major
du Qatar, le général Hamad ben Ali al-Attiya, a notamment indiqué que des centaines de soldats
qataris ont participé aux opérations militaires en Libye aux côtés des
ex-rebelles. De même, les autorités qataries ont pris fait et cause
pour la révolte syrienne depuis l’été 2011.
De son côté, le géographe Mehdi Lazar, a estimé, dans une tribune publiée
par l’Express le 4 décembre dernier, que le lien entre le Mali et le Qatar ne
date pas d’aujourd’hui. Doha "dispose déjà d’un réseau de financement de
divers madrasas, écoles religieuses ou œuvres caritatives qui datent des années
1980 et 1990 au Mali", précise-t-il.
Une présence qui se justifie par des intérêts économiques, selon lui.
"Le Mali dispose d'un potentiel gazier et a besoin d'infrastructures pour
le développer. Or, le Qatar maîtrise ces techniques. Il pourrait ainsi, en cas
de bons rapports avec les dirigeants d'un État islamique au nord du Mali,
exploiter le sous-sol qui est riche en or et en uranium et le potentiel gazier
et pétrolier ", explique Mehdi Lazar.
Médiateur dans les négociations futures ?
La politique étrangère qatarie reste aussi motivée par une forme
d’idéologie islamiste sunnite, ajoute le géographe. "Ce serait, pour
l'émirat, un moyen simple mais risqué d'augmenter grandement son influence en
Afrique de l'Ouest et dans la bande sahélienne", explique-t-il.
"Comme en Syrie, la présence de l'émirat au Mali - si elle s'avère réelle
- doit être resituée dans le contexte d'une concurrence double : d'abord avec
l'Arabie saoudite pour le contrôle de l'islam sunnite mondial, mais également
afin de renforcer le poids de ce même islam sunnite face au chiisme". Et
de poursuivre : "Il continue ainsi l'action entreprise en Égypte, en Libye
et en Tunisie".
Toutefois, le géographe ne pense pas que le Qatar soit impliqué dans le
conflit au Mali. Il lui prêterait plutôt un rôle de médiateur dans
d'éventuelles négociations futures entre le gouvernement malien, la Cédéao, les
différents groupes rebelles du Nord, l'Algérie et la France.
Ségolène Allemandou
Site de France 24, le 21 janvier 2013