Combattants d'Ansar Dine au Mali (cliché AFP)
Introduction :
Cet article a été publié environ un mois et demi avant la guerre qui vient de commencer : mais j'ai choisi de le publier maintenant, car il donne vraiment du recul pour évaluer les enjeux idéologiques, militaires et géopolitiques de l'engagement occidental qui vient de commencer, en miroir avec la guerre qui n'en finit pas en Afghanistan.
J.C
Le chroniqueur algérien Chawki Amari dresse un tableau des ressemblances entre les situations au Mali et en Afghanistan. Par définition en géométrie euclidienne, des droites parallèles ne se croisent jamais. Sauf par courbure de l'espace-temps, avec l'intervention des puissances internationales.
Cet article a été publié environ un mois et demi avant la guerre qui vient de commencer : mais j'ai choisi de le publier maintenant, car il donne vraiment du recul pour évaluer les enjeux idéologiques, militaires et géopolitiques de l'engagement occidental qui vient de commencer, en miroir avec la guerre qui n'en finit pas en Afghanistan.
J.C
Le chroniqueur algérien Chawki Amari dresse un tableau des ressemblances entre les situations au Mali et en Afghanistan. Par définition en géométrie euclidienne, des droites parallèles ne se croisent jamais. Sauf par courbure de l'espace-temps, avec l'intervention des puissances internationales.
- L'islamisme
Force morale
et militaire, l'islamisme n'est plus à
présenter. Mélange de religion, de tribalisme, de guerre et d'infiltration de
tous les services secrets du monde, le djihadisme, courant radical du
radicalisme islamiste, a encore le vent en poupe, alimenté par l'impasse
démocratique et l'injustice des puissances mondiales.
Si
l'islamisme, matrice idéologique du djihadisme, est plus ou moins financé par
des Etats riches et conservateurs comme l'Arabie Saoudite ou le Qatar, son excroissance s'autofinance dans une
large mesure grâce aux prises d'otages, razzias et prélèvements forcés d'impôts
islamiques, commerce de drogue et contrebande transfrontalière.
Pour asseoir
un ordre moral paramilitaire et comme l'on fait les Talibans avec les Bouddhas du Bâmiyân, les
islamistes ont commencé leur carrière au Nord Mali en détruisant des marabouts,
symboles «païens» d'un islam traditionnel du culte des Saints. La
méthode est signée, il s'agit du wahhabisme saoudien, purisme archaïque des
origines qui vise à délaisser tous les symboles d'adoration à d'autres qu'à
Dieu, y compris la tombe du Prophète Mohamed lui-même, abandonnée (en Arabie
Saoudite) pour éviter qu'on aime l'homme plus que son message.
Moteur de la
résistance, fourre-tout d'illuminés et de paramilitaires, c'est encore une fois
l'islamisme qui va jouer dans l'intervention étrangère, étendard de ralliement.
D'autant que contrairement au sexe ou à la religion, l'islamisme ne fait pas de
distinction de race ou d'appartenance ethnique. Touaregs, Noirs ou Blancs, Songhaïs, Peuls, Berabiches, Reguibats, Toubous ou Arabes sont les bienvenus, pourvu
qu'ils aient une arme (voire un arsenal) et une dent (voire un dentier) contre
l'Occident. Une auberge espagnole, sans alcool et sans Espagne.
- L'afflux des combattants étrangers
Ils étaient
déjà présents avec l'arrivée des groupes de Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) dans les
régions Sahélo-sahariennes et ont profité de la démission de l'État malien et
de l'offensive des Touaregs du MNLA (indépendantistes) pour s'installer entre la
boucle du fleuve Niger au Sud, le Niger à l'Est, la Mauritanie à l'Ouest et
l'Algérie au Nord, pour y consolider leurs bases.
Mais depuis
l'imminence de l'intervention internationale, les services secrets, qui
observent en permanence la région, ont pu noter l'arrivée d'une nouvelle vague
de combattants djihadistes: mauritaniens, nigériens ou algériens, mais aussi
soudanais, yéménites ou saoudiens, et même nigérians de la secte Boko Haram, venus en renfort pour l'un des
combats finaux entre Dieu et le Diable, même si dans certaines régions, ils
semblent se faire tout petit en prévision de l'attaque.
Reste à
définir le rôle à jouer de tous ces groupes qui évoluent dans ces zones grises :
groupes du crime organisé, spécialisés dans la vente d’armes, le trafic de
drogue ou la traite humaine, connectés aux groupes djihadistes, mais pas
forcément avec l'envie de se battre contre le reste du monde. Dans tous les
cas, c'est une Internationale, fixée pour combattre l'autre Internationale,
dans un combat à l'air de déjà-vu, entre les forces du bien et du mal.
- L'absence d'État
Comme en
Afghanistan ou en Somalie, l'islamisme se greffe sur des zones désertées par
l'État, par un processus de maturation en plusieurs phases, dont la première
est de se relier, de s'allier et d'épauler les groupes du crime organisé ou de
revendication politique déjà présents dans la région, puis de les ramener à eux
en leur prêtant aide militaire, protection et assise internationale.
Mais en
l'absence d'État et de règles claires, les groupes deviennent souvent rivaux.
Comme en Afghanistan d'ailleurs, les forces étrangères partie prenante de
l'intervention, vont s'appuyer sur le MNLA (Touaregs laïcs indépendantistes).
La question du rôle de Ansar Dine (Touaregs
islamistes, opposés à l'indépendance de l'Azawad), n'est pas encore définie, celui-ci
préférant prendre ses distances avec le MNLA et Al-Qaïda, mais sans
condamner ni l'un ni l'autre, pour des raisons de survie.
Mais comme
en Afghanistan encore, les liens tribaux vont jouer. Une partie des djihadistes
pourra trouver refuge dans les pays voisins, au Niger, Mauritanie, Algérie,
Libye et Tchad, où les États centraux ont du mal à intervenir dans leurs zones
tribales, à l'image du Waziristan pakistanais, où Ben Laden vivait comme un
panda protégé avant de finir comme un poisson sous l'eau.
- Le relief
Contrairement
à ce que l'on pense, le Nord du Mali n'est pas un désert plat où le moindre
mouvement peut se détecter à partir de satellites ou de drones. En réalité,
au-delà des grandes plaines sableuses au Nord du fleuve Niger, la région est un
ensemble de montagnes, avec comme en Afghanistan, d'innombrables grottes (comme
à Bouressa ou Okawan, marché d'achat
d'armes) et de plateaux, regs caillouteux, mines de sels labyrinthiques (Taoudeni), collines (Tigharghar), vallées arides (Tilemsi) ou touffues (aux abords de l'Adrar des Ifoghas) ou de villes serrées comme Tombouctou et Gao, où il est relativement aisé de survivre
caché.
De fait, et
comme en Afghanistan, les bombardements aériens et les avancées au sol vont
être compliquées par un terrain difficile que seuls les Touaregs connaissent
bien. Si les djihadistes se préparent déjà, le MNLA (indépendantistes touaregs
du Nord) va probablement jouer le rôle de l'Alliance du Nord afghane, et
épauler, voire jouer les éclaireurs dans cette guerre contre Al-Qaïda et les
mouvements djihadistes affiliés.
Les
affrontements entre le MNLA et le Mujao (Mouvement pour l'unicité et le djihad
en Afrique) ont d'ailleurs déjà commencé, rendus difficiles par l'immensité du
territoire. En effet, on estime à deux millions de kilomètres carrés, soit
quatre fois la surface de la France, la zone où se déroulera l'intervention des
forces alliées.
- L'armement
En plus de
l'armement malien abandonné par l'armée au Nord (les 3/4 selon les experts),
pendant les premières offensives du MNLA, les islamistes sont lourdement armés,
présents sur le marché international dérégulé des armes grâce aux fonds
essentiellement récupérés dans les prises d'otages (de un à 10 millions d'euros
par tête) et le trafic de drogue (40% des drogues dures en provenance
d'Amérique du Sud transitent par le Sahel pour arriver en Europe).
Mais depuis
le démantèlement de l'armée libyenne, d'autres armes sont arrivées dans le Nord
Mali. Contrairement au Niger, où
les Touaregs kadhafistes n'ont pas pu
rapatrier leurs armes, les Touaregs maliens qui opéraient dans les armées
libyennes ont pu faire entrer leurs cargaisons en rejoignant le Mali. Si ces
combattants démobilisés n'ont pas tous rejoint les troupes de l'AQMI, du Mujao
ou de Ansar Dine, un nombre d'entre eux ont revendu leurs armes aux mouvements
islamistes, la région étant complètement abandonnée, en proie au chômage et à
l'inactivité.
Après une
phase de nomadisme dans les régions sahélo-sahariennes, c'est dans cette région
entre le massif de l'Ifoghas et les frontières des États voisins que les
islamistes se sont constitués des bases et ont caché un stock impressionnant
d'armes de tous types, lance-grenades, mitrailleuses avec visée anti-aérienne,
fusils automatiques (près de 80.000 kalachnikovs sont disséminés dans le
Sahel), munitions, grenades, explosifs (Semtex), ainsi que l’artillerie légère
anti-aérienne montée sur véhicule (calibre légers bitubes), selon le rapport de
l'ONU de 2012.
Ce sont ces
dernières armes, canons aériens et antichars (RPG 7), missiles MILAN (livrés
par la France à Kadhafi) et les soviétiques Strela-2 et SA-7 Grail, des
lance-roquettes très légers qui peuvent atteindre des appareils volants à 1.500
mètres, qui font peur à tout le monde. Comme en Afghanistan, où les missiles
américains Stinger avaient été distribués par l'armée US pour combattre l'Union
soviétique, les redoutables missiles sol-air russes sont un véritable danger
pour tout avion ou hélicoptère circulant dans la région.
L'utilisation de drones sera le
principal atout des armées étrangères, avant une éventuelle
intervention au sol, avec un coût déjà estimé à un milliard de dollars pour une
année. On estime à 2.000 au jour d'aujourd'hui l'effectif des djihadistes, contre 3.300 pour l'instant,
celui des armées étrangères. Si dans le désert, des parallèles peuvent se
croiser, les dommages collatéraux sont imprévisibles. La géométrie et la
théorie des chocs n'y sont pas une science exacte.
Chawki Amari
Slate Afrique, 29 novembre 2012