Après 100 jours passés à la tête du gouvernement, les islamistes du PJD imposent un projet de société fondé sur un repli identitaire arabo-musulman.
Pour la
première fois au Maroc, des islamistes que l’on a présenté comme modérés sont
aux affaires, après leur victoire aux législatives anticipées de novembre 2011.
Pressé par
la rue, le roi Mohammed VI avait auparavant réformé la Constitution du pays
pour désamorcer la contestation née du printemps arabe.
Monarchistes,
les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) menés par
Abdelilah Benkirane, ont toujours clamé leur allégeance sans faille au trône
alaouite.
Leur arrivée
à la tête du gouvernement n’avait pas inquiété outre mesure l’Occident qui
avait interprété leur victoire sous l’angle de leur assimilation progressive au
jeu démocratique.
En somme, le
régime monarchique, largement plébiscité par le peuple, pouvait, comme il l’a
fait dans son histoire récente avec l’opposition de gauche, digérer l’islamisme
légaliste.
Pourtant, à
peine 100 jours passés aux commandes de l’Exécutif, les «islamistes de Sa Majesté» montrent
une détermination sans faille à vouloir façonner la société à leur manière.
1- La censure de la presse «anti-musulmane» :
Une fournée
de journaux et magazines étrangers ont été interdits d’accès au Maroc. Le Nouvel Observateur (par
deux fois), L’Express, Le Pèlerin, Gazelle pour des raisons ayant trait à une
interprétation rigoriste de l’Islam: ils ont été accusés d’avoir publié des
représentations imagées de Dieu ou du prophète Mahomet. Ce type d’interdiction
n’est pas une nouveauté au Maroc, mais le PJD veut en faire une politique
systématique au point d’envisager une vaste campagne de communication à
destination des éditeurs européens pour «clarifier
l’image de l’islam et lutter contre les clichés le dévalorisant».
2- Le tourisme accusé d’être la source de péchés :
Mustapha
Ramid, ministre islamiste de la justice et des libertés (!) —il est l’une des
figures de proue du PJD— a suscité la polémique en affirmant que des touristes
venaient à Marrakech, haut lieu du tourisme marocain, pour commettre des
péchés. «Des gens du monde entier viennent pour passer beaucoup de temps à
commettre des péchés et s'éloigner de Dieu», a déclaré Mustafa Ramid, lors
d'une visite à une école coranique à Marrakech.
3- La réhabilitation des prédicateurs salafistes :
Le cheikh de
cette école coranique n’est pas inconnu du grand public. En septembre 2008, le
prédicateur qui dirige la medersa en question, Mohamed Maghraoui, avait provoqué une controverse en
émettant une fatwa autorisant le mariage des filles à l'âge de 9 ans, prenant
pour exemple le cas de la jeune Aicha que le prophète Mahomet a épousée.
Maghraoui avait à l’époque été contraint de fermer ses écoles coraniques et
s’était un temps exilé à La Mecque. Son site Internet
(aujourd’hui accessible) avait été désactivé par les autorités marocaines. Le
ministre, qui a fait durant son intervention l’apologie de l’enseignement du
prédicateur, a comparé ce qu’il a «enduré» «à la peine des
prophètes».
4- La chasse aux «déviants sexuels» :
Début avril,
une célèbre vedette transexuelle a
été «bannie» d’une série télévisée alors que sa présence dans
les médias publics ou privés n’avait jamais souffert d’une censure officielle.
Les homosexuels ne sont d’ailleurs pas en reste. L’actuel ministre de la
Communication et porte-parole du gouvernement écrivait il y a quelques mois
alors qu’il était encore le rédacteur en chef d’Attajdid, le journal officieux
du PJD:
«L’homosexualité
sur l’espace public constitue un défi à la religiosité ainsi qu’une atteinte
aux valeurs et aux mœurs publiques».
5- Le bannissement des jeux de hasard :
Le ministre
de la Communication Mustapha El Khalfi a annoncé l'interdiction de la publicité
pour les jeux de hasard. Contacté par l'AFP, El Khalfi a indiqué que
l'interdiction des jeux de hasard est conforme à la constitution qui «oblige
dans son article 32 l'Etat à protéger les mineurs. C'est qui a été adopté par
le CSA en France en mai 2010 et la BBC en mai 2011».
6- La promotion d’un art bigot :
Pour les
islamistes du PJD, les festivals de musique très en vogue dans le royaume
depuis une quinzaine d’années sont considérés comme «des lieux favorisant la
débauche».
L’expression
artistique au Maroc devrait être ainsi conforme à «un art propre», faisant la
promotion des valeurs religieuses de la nation, à opposer à un art décadent
forcément importé d’Occident. En ligne de mire, le Festival Mawazine de Rabat
qui a vu ses financement publics annulés cette année. Les raisons invoquées
concernent ses dépenses jugées injustifiées et la mainmise de son organisation
par l’entourage royal, mais il y a deux ans, le PJD avait déjà tenté de faire
annuler le concert d’Elton John à Mawazine, accusé d’être l’incarnation de tous
les démons, estimant que sa prestation «encourageait l’homosexualité».
7- La marginalisation des langues étrangères :
Les cahiers
des charges des deux chaînes (Al-Oula et 2M) ont été remaniés en faveur d’une plus forte arabisation de
leur contenu: 80% des émissions de la première chaîne seront en
langue arabe.
La moitié de
la programmation de la chaîne 2M, réputée être la plus francophone sera
dorénavant diffusée en langue arabe, 30% en amazigh contre 20% en langues
étrangères usitées au Maroc, c’est-à-dire essentiellement le français et
l’espagnol.
En outre,
les radios nationales se voient obligées de dédier 70% de leur programmation à
la chanson marocaine, suivie de la chanson arabe et étrangère.
Par
ailleurs, le PJD a toujours considéré que la forte présence des missions
culturelles étrangères, notamment à travers les établissements français,
contribuent à une acculturation intolérable des Marocains. En plus de
l’arabisation des médias publics, ceux-ci ont l'obligation de diffuser les cinq
appels quotidiens à la prière.
8- La guerre à l’identité berbère :
Le PJD avait
ferraillé contre l’officialisation de la langue amazighe dans la nouvelle
Constitution. Abdelilah Benkirane avait, lors d’un meeting électoral, comparé
les idéogrammes berbères au chinois soulevant un tollé dans l’opinion publique.
Pour les islamistes, l’identité musulmane est consubstantielle à la langue
arabe, la langue sacrée du Coran.
9- Le déni des droits des femmes :
Le
gouvernement islamiste qui a accepté du bout des lèvres les maigres avancées de
la Moudawana, le code de la famille adopté en 2004, se refuse à abroger la
législation du Code pénal qui a poussé au suicide une
adolescente mariée de force à son violeur.
«L’article
475 du code pénal ne risque pas d'être abrogé, du jour au lendemain, sous la
pression de l’opinion publique internationale. Parfois le mariage de la violée
à son violeur ne lui porte pas un réel préjudice», a lancé Bassima Hakkaoui, la seule
femme du gouvernement et membre du PJD. La ministre chargée de la Solidarité,
de la Femme et de la Famille avait aussi affirmé qu’une jeune fille de 14 ans
pouvait être mariée si elle était «reconnue physiquement apte à procréer».
10- La surtaxation de l’alcool :
Si la
consommation d’alcool est prohibée par la loi religieuse, malgré quelques
controverses doctrinales, elle n’est pas interdite formellement par le droit
positif marocain. Aussi, la loi marocaine sur l’alcool stipule que sa vente est
licite sous autorisation, mais les islamistes tentent à tout prix de bannir sa
consommation, d’abord en faisant barrage à la mise en place d’alcootest sur les
routes et surtout en défendant un projet de loi visant à surtaxer les produits
alcoolisés.
Ces quelques
exemples ne sont que les prémices à une application plus stricte des préceptes
édictés par l’islam rigoriste voulu par le PJD à l’encontre des libertés
individuelles. Le PJD veut absolument éviter le débat sur l’avortement même en
cas de viol, fustige toute référence à la liberté de conscience ou sexuelle et
cherche aussi dans d’autres domaines comme celui de la finance à adopter des
lois s’inspirant de la charia islamique.
Contrairement
aux idées reçues, la monarchie et les islamistes ont, sur ces
questions, des intérêts convergents. Les folles affaires des
«rockers satanistes» en 2003, des «homos de Ksar El Kébir» en 2008, des
«déjeuneurs du Ramadan» en 2009 et celle suscitée par le lancement de Mithly,
le premier magazine gay du monde arabe, en sont la parfaite illustration.
L’Etat a dû sévir en donnant raison aux islamistes. Aussi, l’image de modernité
que veut donner Mohammed VI à son régime s’en trouve troublée. Le roi tire sa
légitimité de son statut religieux de Commandeur des croyants et ne peut à ce
titre contredire son gouvernement. Leur attelage est tiraillé par cette
contradiction sur laquelle le PJD, cohérent avec ses idées et fort de sa
victoire par les urnes, joue allégrement.
«Dire Non
aux islamistes revient à dire oui au haram [péché, ndlr]. Et ça, même la monarchie n’osera pas le
faire» résume à juste titre
l’éditorialiste de TelQuel.
Ali Amar
Slateafrique.com, 29 avril 2012