Le Président Abdelaziz Bouteflika
«Où était l'arnaque?», se sont demandés les
observateurs au lendemain de la victoire du FLN aux législatives algériennes.
La réponse se trouve dans une simple disposition législative de dernière
minute...
Mise à jour
du 21 mai: 202 membres du comité central de direction du FLN ont signé, samedi
19 mai, un acte de destitution contre le secrétaire général du
parti, Abdelaziz Belkhadem. C'est assez de voix pour réunir une
session extraordinaire du parti qui pourrait aboutir à sa destitution. Elle
devrait avoir lieu avant le 15 juin.
Après le KO,
le réveil dur: beaucoup de partis politiques perdants commencent à crier à la
fraude. Mais comment le régime a pu frauder sans bourrer les urnes, sous le
regard des observateurs étrangers et avec rien dans les mains et rien dans les
poches?
La recette a
un nom technique: l'article 85 de la loi organique n°12-01 du 12 janvier 2012
relative au régime électoral et au mode de scrutin.
Traduction pour
les profanes: la loi électorale algérienne est généreuse depuis l’avènement du multipartisme en 1990. Elle
permet la concurrence entre des partis vieux d’un demi-siècle comme le FLN, et
des partis nés il y a à peine six mois dans le cadre des réformes vendues par
le régime.
Sauf que
cette loi a un «verrou». Personne ne l’a remarqué avant les élections,
tout le monde en parle après.
L’article 85
permet en effet d’expliquer «techniquement» pourquoi l’ex-parti unique,
le FLN, est redevenu presque parti unique, raflant 220 sièges au nouveau
parlement 2012, avec la majorité absolue et une légitimité inattendue.
Dans
certaines villes algériennes, le FLN a même réalisé des scores
invraisemblables: la totalité des 8 sièges mis en concurrence, dans une wilaya
(préfecture) comme sidi Bel-Abbès à l’ouest du pays, mais aussi des scores
honorables dans des villes rebelles en Kabylie, cette région qui ne vote pas beaucoup
et encore moins pour le FLN.
La technique
85 a donc permis une sorte de fraude par le bas, sans bourrage d’urne, sans
gonflement des scores, sans triche grossière. Juste avec un article et le
fameux système à la proportionnelle.
Un système qui favorise les partis lourds
Que dit cet
article magique qui permet de gagner des élections?
Il «donne
lieu à une répartition des sièges proportionnelle au nombre de voix obtenues
par chaque liste avec application de la règle du plus fort. Les listes qui
n'ont pas obtenu au moins 5% des suffrages exprimés ne sont pas admises à la
répartition des sièges», est-il indiqué dans le Journal officiel algérien.
Du coup,
tous les partis qui n’ont pas dépassé les 5% des voix, sont éliminés et leurs
scores sont «versés» aux concurrents, généralement les partis les plus
forts et proches du régime. Le mode de vote favorise abusivement les partis
lourds de l’alliance présidentielle et ceux qui sont proches du régime, et lui
servent de société-écran.
Un chef de
parti perdant analyse ainsi les dernières
législatives pour un journal algérien:
«A Béjaïa,
sur les 125.000 suffrages exprimés, seuls 37.000 ont été retenus, soit 7% de
l'électorat. Plus de 80.000 bulletins ont été éliminés. Ils appartenaient aux
listes qui n'ont pas pu dépasser les 5%. C'est également le cas dans plusieurs
autres wilayas qui ont vu le Front de libération nationale remporter tous les
sièges grâce en partie à la règle des 5% qui a "éliminé" les autres
concurrents. Par exemple à Oum El Bouaghi, le FLN a raflé les 8 sièges
attribués à la wilaya, alors qu'il n'a récolté que 26.000 voix sur les 196.000
votants.»
La recette a
permis d’éliminer les listes indépendantes, mais dans la légalité. Le système
de scrutin à la proportionnelle est fait ainsi: il a ses inconvénients et ses
avantages, pour certains.
Des candidats FLN eux-mêmes surpris de leur victoire !
Du coup, on
comprend mieux pourquoi le régime a accéléré la distribution des agréments pour
les nouveaux partis algériens: cela permettait d’émietter les opposants, de
rabattre les électeurs pour contrer l’abstention, et de gonfler, par défaut et
par magie de la loi 85 le score des partis choyés.
Ainsi, les
voix des petits partis allaient automatiquement vers les grands et servaient la
confection d’une majorité à l’assemblée, qui reste une minorité au décompte
direct des électeurs.
Depuis le
déclenchement du printemps arabe, les autorités algériennes ont agréé 40 nouveaux partis,
promettant même d’atteindre le chiffre de 100. À comparer avec les explications
doctes du ministre de l’Intérieur algérien qui affirmait, avant l’ère Bouazizi,
qu’il était impossible de reconfigurer le champ politique algérien en si peu de
temps, c'est-à-dire 12 ans. L’interdit avait eut court pendant deux décennies,
depuis les années 90. Il sera levé en six mois et, désormais, il suffit d’un
mois de procédures pour avoir son sigle.
Il y a à peine
six mois, certains opposants avaient des doutes sur cette générosité de
l’Administration algérienne. Maintenant, ils disent mieux comprendre.
D’ailleurs, dans certaines villes comme Oran, les candidats FLN eux-mêmes
s’avoueront surpris par leur victoire!
Le scrutin à
la proportionnelle est-il une fraude?
Non. Il a
ses détracteurs et ceux qui y voient une nécessité. Cela permet d’éliminer les
partis qui ne sont pas de vraies formations, mais aussi de gonfler abusivement
les scores des plus forts.
Le système
aboutit même à des absurdités démocratiques: un parti élu par peu d’électeurs
directs, refusé trois fois par des électeurs émiettés, peut se retrouver
majoritaire dans une assemblée alors qu’il est minoritaire en bas de l’échelle.
En Algérie, le régime a su tirer profit de la situation: ce système, ajouté à
la peur du chaos, l’absence d’alternative, le discrédit des islamistes, peut un
peu expliquer la seconde vie du parti unique, le FLN.
«Où était l’arnaque?»
Frauder
signifiait autrefois voler les urnes le soir dans l’obscurité, les bourrer,
voter à la place des morts, des vieux et des militaires. Eliminer les voix
discordantes, faire pression sur les électeurs et gonfler les statistiques au
niveau haut du ministère de l’Intérieur.
Aujourd’hui,
c’est plus intelligent. L’intelligence du régime algérien étant reconnue de
part le monde, arabe ou pas, on devait s'attendre à une formule de sécurité politique
qui ne heurte personne, qui ne peut pas être définie comme une fraude ou une
triche et qui a les apparences de la loi mais les fonctions d’une arnaque.
En Algérie,
au lendemain de l’annonce des résultats préliminaires des élections
législatives, beaucoup, se sont réveillés comme s’ils sortaient d’une salle de
spectacle pour magie: «où était l’arnaque?» se demandait-on.
On a bien
regardé les mains du pouvoir, ses poches, sous le tapis, dans le chapeau, avec
les observateurs étrangers, on a revu les chiffres et les additions. Tout était
clean et poussait à croire qu'il n'y avait pas de magie. Il a fallu
quelques jours pour commencer à comprendre.
La «clé
85» permet en effet d’ouvrir la première porte. Avec le temps, on en saura
peut-être plus. Inutilement d’ailleurs: pétrole, Sahel, Mali, Azawad et gaz ont
fait voter l’Occident pour la stabilité du régime plutôt que pour l’incertitude
d’un changement ou d’une révolution de plus. On l’a compris.
Kamel Daoud
SlateAfrique.com,
le 15 mai 2012