Un témoin souhaitant naturellement conserver l'anonymat par un pseudonyme,
m'envoie cet article décrivant les conditions de vie dans une prison tunisienne
... un document exclusif sur le blog !
Le
bus de l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) arrive
devant la prison connue de Bizerte, « Nador », dans l’après-midi du
lundi 7 mai. Cette prison qui a tellement fait horreur aux Tunisiens, et qui contient 467 prisonnier, a été, toutefois, considérée par ses cadres,
notamment par son directeur comme «un paradis terrestre en comparaison avec les
autres prisons de la République ».
Des prisonniers
et quelques femmes devant la grande et lourde porte de la prison ont salué les
étudiantes d’un groupe de l’IPSI accompagnées par leur professeure, avec des
cris et des réclamations inédites adressées aux responsables de la prison.
Comme : "Vous journalistes ! Transmettez l’info".
Un
quart d’heure avant l’arrivée du Directeur de la prison, entre autre le Mkaddem
Makram Ammar, des cadres travaillant au sein de la prison ont accueilli les
étudiantes avec des bouteilles d’eau permettant de surmonter l'atmosphère lourde
de la prison, pleine de souffrance, dans une ambiance de clair-obscur ...
A 15heures, M Ammar entra. Dès le début, un refus
menace, effrayant. Le directeur a du contacter les parties concernées du Ministère
de l’Intérieur pour confirmer l’autorisation de la visite. Faute de quoi, les
étudiants devaient adopter un plan B sinon retourner à Tunis. Après
vérification, M. Ammar a commencé à narrer les historiettes de Nador. Il a affirmé : "A
Nador, tout va bien".
Cela
s’explique, selon le Directeur, par le type de relation établie entre les
surveillants des cellules et les prisonniers. Bonne communication interne,
persuasion et empathie, ce sont les caractéristiques de cette relation basée
sur la composante humanitaire spontanée. Quant à la torture, "Il n'y a pas
d'instructions qui l’autorisent" a insisté M. Ammar. Ceci étant, le
respect de la dignité des prisonniers s’avère fondamentale.
Samir
Hedi, Premier Procureur, a affirmé dans ce cadre que le Juge ne sait rien dans
tout cela. Il ne fait que juger. Et, dixit, " il ne comprend pas ce que
veut dire au juste un emprisonnement de telle ou telle période".
Ceci
dit, seul le prisonnier et celui qui y
travaille sont capables de décrire vraiment l’ambiance régnant dans la
prison.
"Créativité,
élevage d’oiseaux, peinture et cuisine", telles sont les activités qui
préoccupent les prisonniers, nous dit-on. "Les surveillants des cellules
et les prisonniers se trouvent en complète harmonie, ce qui leur permet de
tisser des relations à haut niveau."
Le Directeur
de la prison a raconté une petite anecdote à ce sujet : "On a emmené
avec nous un prisonnier au souk de Bizerte. Nous l’avons laissé là-bas. Nous
sommes revenus à la prison sans lui. Après quelque temps, le prisonnier est
retourné à la prison dans un état de névrose et d’énervement". La prison
lui manquait ... ce qui nous laisse rêveurs ! Dans cette anecdote, il s’agit de
faire comprendre aux étudiantes que la prison est devenue le foyer par
excellence du prisonnier, un foyer à ne pas quitter.
Toutefois,
il y a eu quelques cas de fuite. Exemple : ainsi en 2004, en utilisant une
camionnette livrant le pain.
"Le
14 janvier (date de la chute de Ben Ali), il n’y avait pas de problèmes", a
affirmé le directeur de la prison. C’était une mentalité différente de celles d'autres
prisonniers à travers le pays. Il a poursuivi que le 12 janvier 2011, les prisonniers ont organisé un sit-in dans la
prison pour exprimer leur solidarité avec le peuple tunisien. Ils ont également
fait une grève de faim. Ce qui dénote du degré de conscience chez les
prisonniers.
"Le
14 janvier après le départ de Ben Ali était un festin pour les prisonniers, on aurait
dit qu’on était dans le stade d'El Menzah".
Or, dans
certains témoignages, tels que celui de Ahmed Ben Rotman, à l’époque un détenu
politique à la prison du Nador, envoyé de sa cellule et publié en avril 1979
dans la revue Les Temps Modernes, on lit : "Je me retrouvais aux
termes d’un procès d'opinion, avec vingt ans de prison ferme. Et le jour même
du verdict, je fus ramené à la prison du Nador de Bizerte, toujours seul, dans
une cellule complètement isolée. Ce ne fut qu'en février 1975, après plus d'une
année de total isolement, et à la suite d'une grève de la faim entreprise par
tous les détenus politiques de la prison qu'on me mit avec mes autres
codétenus, et que mon long isolement prît fin, (j’étais torturé)." Ceci ne
se contredit-il pas les propos des responsables de la prison ?
A
rappeler que la prison Nador, qui rassemblaient de grandes figures des droits
de l Homme et des prisonniers d’opinion tels que M.M Hammadi Jebali, Ali Ben Salem
et Nourddine Bhiri, se transformera bientôt en musée.
Cette
prison est composée de cellules individuelles et de cellules de groupes, à
raison de 30 prisonniers par surface de 6 fois 10. A souligner que le
prisonnier isolé est privé du "panier" et de visites.
"Le prisonnier d’aujourd’hui préfère être
isolé", confirme M. Ammar. Ceci est évident : le prisonnier bénéficie
du calme et de la télévision. Comme le dit le dicton tunisien, "dans le
pire il y a quoi choisir" ... mais ceci est il suffisant pour dire que
Nador est un Eldorado ?
Catha Freud