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08 juin 2012

La prison Nador : "Un eldorado terrestre"


Un témoin souhaitant naturellement conserver l'anonymat par un pseudonyme, m'envoie cet article décrivant les conditions de vie dans une prison tunisienne ... un document exclusif sur le blog !

Le bus de l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) arrive devant la prison connue de Bizerte, « Nador », dans l’après-midi du lundi 7 mai. Cette prison qui a tellement fait horreur aux Tunisiens,  et qui contient 467 prisonnier,  a été, toutefois, considérée par ses cadres, notamment par son directeur comme «un paradis terrestre en comparaison avec les autres prisons de la République ».

Des prisonniers et quelques femmes devant la grande et lourde porte de la prison ont salué les étudiantes d’un groupe de l’IPSI accompagnées par leur professeure, avec des cris et des réclamations inédites adressées aux responsables de la prison. Comme : "Vous journalistes ! Transmettez l’info".

Un quart d’heure avant l’arrivée du Directeur de la prison, entre autre le Mkaddem Makram Ammar, des cadres travaillant au sein de la prison ont accueilli les étudiantes avec des bouteilles d’eau permettant de surmonter l'atmosphère lourde de la prison, pleine de souffrance, dans une ambiance de clair-obscur ...

A 15heures, M Ammar entra. Dès le début, un refus menace, effrayant. Le directeur a du contacter les parties concernées du Ministère de l’Intérieur pour confirmer l’autorisation de la visite. Faute de quoi, les étudiants devaient adopter un plan B sinon retourner à Tunis. Après vérification, M. Ammar a commencé à narrer les historiettes de Nador. Il a affirmé : "A Nador, tout va bien".
Cela s’explique, selon le Directeur, par le type de relation établie entre les surveillants des cellules et les prisonniers. Bonne communication interne, persuasion et empathie, ce sont les caractéristiques de cette relation basée sur la composante humanitaire spontanée. Quant à la torture, "Il n'y a pas d'instructions qui l’autorisent" a insisté M. Ammar. Ceci étant, le respect de la dignité des prisonniers s’avère fondamentale.
Samir Hedi, Premier Procureur, a affirmé dans ce cadre que le Juge ne sait rien dans tout cela. Il ne fait que juger. Et, dixit, " il ne comprend pas ce que veut dire au juste un emprisonnement de telle ou telle période".

Ceci dit, seul le prisonnier et celui qui y  travaille sont capables de décrire vraiment l’ambiance régnant dans la prison.
"Créativité, élevage d’oiseaux, peinture et cuisine", telles sont les activités qui préoccupent les prisonniers, nous dit-on. "Les surveillants des cellules et les prisonniers se trouvent en complète harmonie, ce qui leur permet de tisser des relations à haut niveau."
Le Directeur de la prison a raconté une petite anecdote à ce sujet : "On a emmené avec nous un prisonnier au souk de Bizerte. Nous l’avons laissé là-bas. Nous sommes revenus à la prison sans lui. Après quelque temps, le prisonnier est retourné à la prison dans un état de névrose et d’énervement". La prison lui manquait ... ce qui nous laisse rêveurs ! Dans cette anecdote, il s’agit de faire comprendre aux étudiantes que la prison est devenue le foyer par excellence du prisonnier, un foyer à ne pas quitter.
Toutefois, il y a eu quelques cas de fuite. Exemple : ainsi en 2004, en utilisant une camionnette livrant le pain.

"Le 14 janvier (date de la chute de Ben Ali), il n’y avait pas de problèmes", a affirmé le directeur de la prison. C’était une mentalité différente de celles d'autres prisonniers à travers le pays. Il a poursuivi que le 12 janvier 2011,  les prisonniers ont organisé un sit-in dans la prison pour exprimer leur solidarité avec le peuple tunisien. Ils ont également fait une grève de faim. Ce qui dénote du degré de conscience chez les prisonniers.
"Le 14 janvier après le départ de Ben Ali était un festin pour les prisonniers, on aurait dit qu’on était dans le stade d'El Menzah".

Or, dans certains témoignages, tels que celui de Ahmed Ben Rotman, à l’époque un détenu politique à la prison du Nador, envoyé de sa cellule et publié en avril 1979 dans la revue Les Temps Modernes, on lit : "Je me retrouvais aux termes d’un procès d'opinion, avec vingt ans de prison ferme. Et le jour même du verdict, je fus ramené à la prison du Nador de Bizerte, toujours seul, dans une cellule complètement isolée. Ce ne fut qu'en février 1975, après plus d'une année de total isolement, et à la suite d'une grève de la faim entreprise par tous les détenus politiques de la prison qu'on me mit avec mes autres codétenus, et que mon long isolement prît fin, (j’étais torturé)." Ceci ne se contredit-il pas les propos des responsables de la prison ?
A rappeler que la prison Nador, qui rassemblaient de grandes figures des droits de l Homme et des prisonniers d’opinion tels que M.M Hammadi Jebali, Ali Ben Salem et Nourddine Bhiri, se transformera bientôt en musée.

Cette prison est composée de cellules individuelles et de cellules de groupes, à raison de 30 prisonniers par surface de 6 fois 10. A souligner que le prisonnier isolé est privé du "panier" et de visites.
 "Le prisonnier d’aujourd’hui préfère être isolé", confirme M. Ammar. Ceci est évident : le prisonnier bénéficie du calme et de la télévision. Comme le dit le dicton tunisien, "dans le pire il y a quoi choisir" ... mais ceci est il suffisant pour dire que Nador est un Eldorado ?


Catha Freud