Le collectionneur Nasser David Khalili
Ce
milliardaire juif d'origine iranienne possède le plus ensemble au monde d'art
islamique qui sera exposé mardi à Paris. D'Ispahan à Londres, récit d'un destin
hors du commun.
L’empereur
Akihito en est presque tombé de son trône. C’est un particulier qui possède le
plus important ensemble d’art japonais de l’ère Meiji. Deux mille vestiges
inestimables que l’empereur aimerait volontiers récupérer. En quarante ans,
David Khalili, collectionneur juif d’origine iranienne installé à Londres, a
constitué un incroyable trésor de près de 25000 objets, dont des textiles
suédois, des émaux et de l’orfèvrerie espagnole et surtout un incomparable
ensemble islamique.
Dès mardi,
celui que le Sunday Times classe au cinquième rang des plus grosses
fortunes d’Angleterre dévoile, pour la première fois à Paris, une partie de ses
œuvres d’art islamique. "La dernière exposition de cette envergure a
été inaugurée à Londres par la reine Elisabeth II, en 1976. Tous les musées les
plus prestigieux de la planète y avaient participé. On comptait 750 œuvres et
103 prêteurs. A l’Institut du monde arabe, il y en aura 500 et une seule
source: moi!"
David
Khalili sait de quoi il parle: il ne lui manque éventuellement plus que "six
ou peut-être sept" pièces à acquérir. "A mes débuts, j’en
achetais 25 à 50 par jour. A présent, c’est 25 à 50 par an, pour l’ensemble de
mes collections. Il ne reste plus grand-chose sur le marché. J’ai bientôt
terminé." Dans son bureau à la Nour Foundation – un espace zen orné de
bougies et d’orchidées –, les sabres, les bouddhas et un autel de sacrifice
vieux de 7000 ans côtoient des photographies du maître de ces lieux discutant
avec Bill Clinton. Le milliardaire nous accueille, prend soin de ranger les
manteaux dans un placard, avant d’inviter tout le monde à déjeuner, et de
remplir les assiettes jusqu’à ras bord! Ses yeux pétillent lorsqu’il promet une
farandole de desserts dont il raffole.
Il affiche
une simplicité étonnante pour un homme au destin aussi exceptionnel. "Je
n’ai pas oublié le 28 août 1967, lorsque j’ai quitté l’Iran à l’âge de 22 ans
avec 750 dollars en poche. Il s’agissait des droits de mon premier livre,
consacré aux génies, que j’ai écrit à l’âge de 13 ans. A mon arrivée à New
York, où je n’avais aucune famille, j’ai étudié l’informatique. J’avais acheté
un paquet de graines, espérant avoir un beau jardin. Jamais je n’aurais imaginé
cultiver une forêt." Derrière les formules enluminées dignes des Contes
des Mille et Une Nuits se cache une formidable vocation. Né en 1945 à
Ispahan, Nasser David – il a plutôt tendance à oublier son premier prénom –
Khalili s’éveille très tôt à l’art. Dès l’âge de 8 ans, il suit partout son père,
marchand d’antiquités. Le premier objet qui retient son attention est un
plumier en bois laqué du 18e siècle, offert pour ses 14 ans par un ancien
ministre iranien de l’Education. A partir de ce moment, Khalili n’aura de cesse
de chercher la perle rare. Animé, selon son collaborateur Michael Rogers, de
"l’esprit d’encyclopédie" cher à Diderot, d’une passion et
d’une énergie hors du commun.
Mais d’où
tient-il cette richesse qui lui permet de financer son rêve? "J’ai
investi dans l’immobilier et les nouvelles technologies. Durant les années
1980, j’ai fait de bonnes affaires, certaines œuvres étaient abordables. Avec
l’inflation, elles seraient désormais inaccessibles." Khalili a ce don
ancré dans la culture perse de parer de mots simples des réalités plus
complexes. Cherche-t-on à lui faire avouer le nom de son œuvre préférée, il se
réfugie encore dans la métaphore: "Je ne peux pas choisir entre mes
enfants." Khalili a trois fils, nés de son coup de foudre avec Marion,
celle pour qui il a quitté les Etats-Unis et s’est installé à Londres en 1978.
Daniel, 28 ans, designer de bijoux, Benjamin et Raphael, les jumeaux de 25 ans,
prendront-ils un jour la succession de leur père? "Je leur lègue un nom
qui inspire le respect. Tout ce que je leur demande, c’est de ne pas le traîner
dans la boue, ni par amour, ni pour l’argent."
Et de
détailler les principes qu’il leur a transmis. "La moralité et
l’honnêteté forment la colonne vertébrale de ce que j’entreprends dans ma vie.
Les responsables de la crise financière ont perdu leurs valeurs. Lorsque
l’égocentrisme prend le dessus, on en paie le prix tôt ou tard." David
Khalili a distribué gratuitement 40000 manuels sur l’art islamique dans les
universités londoniennes et celles du monde arabe, y compris dans les
Territoires palestiniens. "A mon sens, on a le droit de se définir
comme collectionneur si on remplit cinq conditions : il faut accumuler,
conserver, rechercher, publier, exposer. Accrocher un Picasso dans sa salle à
manger ne suffit pas. C’est juste du shopping de luxe! Mon but est pédagogique.
Et la gloire revient aux artistes. Je suis le berger qui rassemble les moutons."
Mais un
berger qui a la main heureuse, une mémoire photographique et un œil
remarquable, un cadeau selon lui "du Tout-Puissant". Il a été honoré
par deux papes, Jean-Paul II et Benoît XVI, qui ont salué son action en faveur
de la paix entre les peuples et du dialogue entre les religions à travers la
Maimonides Foundation. "Les musulmans sont mes cousins. Si je les aide
à mieux comprendre leur culture, alors je comprendrai mieux la mienne. La
véritable arme de destruction massive, c’est l’ignorance." David
Khalili n’est jamais retourné en Iran depuis la révolution islamiste de 1979. "Pas
le temps, trop occupé. Je n’ignore pas la situation, mais il n’est pas
nécessaire que je m’implique." Avant d’ajouter: "Le succès
engendre toujours des ennemis. Je leur souhaite longue vie, pour qu’ils aient
tout le loisir d’apprécier ma collection!"
David
Khalili consacre son temps libre au tennis, au backgammon, à sa résidence d’été
à Grasse, et au football, puisqu’il subventionne l’équipe de Hackney, à
Londres. C’est d’ailleurs au cœur de la capitale anglaise qu’il a failli créer
son musée. « Mais l’espace était trop restreint. En fait, idéalement, il m’en
faudrait trois : un pour l’art islamique, un pour l’art japonais, et un pour le
reste. Je vais réfléchir à ce projet durant les douze prochains mois. Le jour
de l’ouverture, plaise à Dieu, je publierai mon autobiographie. » Et ses
derniers secrets seront levés.
Stéphanie Belpêche,
Le Journal du Dimanche, 3 octobre
2009
Nota de Jean Corcos :
1) A noter que des chefs d'œuvres
de la collection Khalili ont été présentés à Paris, à l'Institut du Monde Arabe
à l'automne 2009
2) L'article dénomme le
collectionneur "David Khalili", mais son nom complet que l'on trouve
en faisant des recherches est bien "Nasser David Khalili"
3) Pour avoir une idée de la
richesse fabuleuse de cette collection, visiter le site de la Khalili Family Trust