Fadila Mehal
La Commission pour les
relations avec les Musulmans du CRIF a reçu, mercredi 30 janvier, Madame Fadila Mehal, Directrice à l'Agence nationale
pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, et Présidente de
l'association "Les Marianne de la diversité". De l'avis unanime des
présents, qui étaient venus nombreux pour écouter son témoignage, ce fut une
soirée particulièrement riche d'enseignements, à la fois par la qualité de
notre invitée et les sujets qui ont été abordés.
Née à Cherchell, en Algérie,
Fadila Mehal est le témoin d'une ancienne génération de l'immigration
maghrébine en France, à une époque où beaucoup considéraient le retour dans le
pays d'origine comme perspective et où, dans l'attente, il ne fallait surtout
pas de distinguer : paradoxe de l'époque, c'est alors qu'ils ne se prétendaient
pas pleinement français - beaucoup n'en avaient pas la nationalité - que ces
immigrés algériens vivaient leur religion dans la discrétion, faisaient de
l'Islam une question privée et surtout poussant leurs enfants à faire des
études : toute sa famille a eu ainsi la chance d'accéder à l'Université, à une
période où aussi "l'ascenseur social" n'était pas en panne comme
aujourd'hui. A noter aussi l'éthique personnelle de Madame Mehal, qui a
toujours tenu à travailler alors qu'elle allait tellement s'investir dans le
monde associatif.
D'après elle, un tournant a
été pris lorsque, se considérant définitivement comme français, beaucoup de
jeunes ont eu une demande identitaire ; un retour à l'Islam s'est imposé pour
certains, associé à un rejet des coutumes religieuses des parents et à une
perte de prestige du chef de famille, souvent mis au chômage en raison de la
crise : le chômage, cette "mort social" selon elle, explique beaucoup
de dérives. A cela ce sont ajoutés depuis une dizaine d'années la peur des
Musulmans liée au traumatisme du 11 septembre dont les auteurs, selon elle, ont
fait énormément de mal au jeunes musulmans diplômés en quête de travail : car ces terroristes étaient parfaitement
intégrés, ce qui a beaucoup choqué et provoqué de la méfiance. Alors que
certains ont fait de ce retour au religieux un cheminement purement spirituel,
cela a été pour d'autres une manière de gérer des problèmes identitaires ou une
frustration, et les "prêcheurs de haine" en ont profité - les
islamistes radicaux sachant parfaitement jouer, en France comme en Algérie, de
la solidarité sociale.
Face à cela, face aux
nouveaux codes vestimentaires des femmes qui deviennent une façon de
"marquer un territoire", les élus vont souvent jouer la carte de la
facilité, en faisant des religieux - imams, responsables d'associations - des
médiateurs, et ce de préférence aux laïcs qui existent aussi chez les
Musulmans.
Fadila Mehal a été à
l'origine de l'association "Les Marianne de la diversité" en 2006,
après la crise des banlieues qui a secoué profondément notre pays. L'objet de
son association et de donner une image positive de toutes les diversités -
sociales, territoriales, culturelles - dans un esprit de cohésion nationale. Elle
devrait ouvrir bientôt des antennes dans les pays du Maghreb. L'association
intervient comme médiateur sur le terrain et en partenariat avec les élus et
travailleurs sociaux. Elle porte un
message de laïcité, en partenariat avec des militants de toutes les
confessions, et en particulier avec l'U.E.J.F avec laquelle elle a participé au
projet éducatif "Coexist". Elle a réalisé, enfin, une grande
exposition itinérante appelée "Les femmes et la diversité au cœur de la
République", qui rappelle l'itinéraire de femmes emblématiques de la
culture française et d'origines diverses.
Une soirée bien riche, et
surtout la découverte de concitoyens musulmans, à la fois féministes et
républicains, et trop souvent oubliés par nos médias, nationaux comme
communautaires.
Jean Corcos
Président de la Commission
Cet article a été publié sur le site du CRIF le 5 février 2013