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22 février 2013

Polio : le Pakistan victime du poison taliban

Militants talibans dans les zones tribales du Pakistan

Neuf vaccinateurs ont été tués par des insurgés à Karachi et dans le nord-ouest du pays, régions où cette maladie virale demeure endémique.

Ils surgissent sur des motos, tirent, tuent et disparaissent. Leurs cibles, ce ne sont pas cette fois des officiers de police ou de l’armée, mais des personnes engagées dans la campagne de vaccination contre la poliomyélite. En une semaine, neuf d’entre elles ont été assassinées à Karachi ou dans les régions tribales pachtounes du nord-ouest du Pakistan, forçant les autorités à suspendre temporairement leurs activités.

Intrigue. C’est la première fois depuis l’émergence des talibans sur la scène pakistanaise que des attaques coordonnées visent une campagne antipoliomyélitique. Or, cette maladie virale, qui peut entraîner la paralysie, voire la mort, demeure endémique dans ces régions. Une preuve de la radicalisation constante des insurgés talibans, soutenus par la frange la plus extrémiste du clergé pakistanais, qui voit dans les vaccinations une intrigue de l’Occident.
Cette campagne ciblait notamment le million d’enfants n’ayant pas été vaccinés lors de la vaste opération menée au début de l’automne, qui avait permis d’immuniser 32 millions de personnes à travers le Pakistan. Or ce million manquant est concentré dans le nord-ouest du pays et à Karachi.
L’assassinat des neuf vaccinateurs, dont plusieurs adolescents bénévoles, a finalement provoqué une réaction des courants les moins rétrogrades du clergé, dont le Conseil des oulémas pakistanais - regroupant, selon ses affirmations, 24 000 mosquées -, qui a dénoncé ces tueries. «Aucune coutume, et pas davantage l’islam, ne permet ou ne légitime cela. Loin de commettre quelque chose d’illicite, ces filles étaient au service de l’humanité et de l’islam», a ainsi déclaré Tahir Ashrafi, qui est à la tête de cette organisation.

Espions. Même si les talibans ont démenti être derrière ces neuf crimes, leurs commandants (dont le terrible Hafez Gul Bahadur), ont constamment dénoncé les campagnes de vaccination comme faisant partie d’un complot de l’Occident destiné à rendre stériles ou à diminuer la virilité des musulmans, et les vaccinateurs comme étant des espions.
Autre accusation qui fait mouche dans les régions tribales, largement illettrées : les vaccins sont suspectés de contenir du «gras de porc». Des commandants rejettent aussi la vaccination pour protester contre les tirs réguliers de drones américains dans les zones tribales. «Certains éléments que l’on appelle talibans, mais c’est un terme très générique, se sentent menacés par la présence de gens qui circulent dans leur quartier pour vacciner les enfants», a indiqué le Dr Guido Sabatinelli, chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Pakistan.
Ce qui frappe aussi, c’est que la source de l’infection vient de la province du Khyber Pakhtunkhwa (l’ex-Province de la frontière du nord-ouest) et des zones tribales pachtounes, largement contrôlées par les talibans et difficilement accessibles aux autorités sanitaires. Viennent ensuite les quartiers pauvres de Karachi, où 90% des cas sont recensés parmi des familles de cette ethnie, notamment celles qui ont fui l’insécurité des régions frontalières. Néanmoins, grâce à de précédentes campagnes de vaccination, le nombre de cas de polio recensés sur l’ensemble du Pakistan est tombé de 1 920 en 2002 à 650 en 2011, 198 l’an passé et 56 cette année. Mais l’infection s’est propagée en Chine, où l’on a diagnostiqué l’an dernier plusieurs cas pour la première fois en plus d’une décennie.
Ce qui a aussi décuplé l’hostilité des talibans à l’égard de la campagne, c’est «l’affaire Shakil Afridi», le médecin pakistanais condamné à trente-trois ans de prison sous l’accusation d’avoir participé à une fausse campagne de vaccination contre l’hépatite organisée par la CIA en 2011 afin de s’assurer de la présence d’Oussama Ben Laden à Abbottabad (nord-ouest du Pakistan).

Porte-à-faux. Reste que le soutien de certains imams pakistanais à la vaccination pourrait à nouveau mettre les talibans en porte-à-faux vis-à-vis de la population, comme cela s’était produit après la tentative d’assassinat contre l’écolière Malala Yousufzai. Selon une enquête du Centre d’études sur les zones tribales, le soutien des habitants de ces régions aux «étudiants en religion» est tombé de 50% en 2010 à 20% en mai 2012.
Dans l’Afghanistan voisin, où la polio est endémique, les talibans semblent moins hostiles aux campagnes de vaccination. Un volontaire et un étudiant ont cependant été assassinés en décembre à l’est de Kaboul, par un tueur non identifié.

Jean-Pierre Perrin

Libération, 20 décembre 2012