- Depuis 2002, pour les actes antisémites, et 2011, pour les actes antimusulmans, un recensement est assuré par le ministère de l’intérieur en partenariat avec chacune des deux communautés.
- Mais le sentiment éprouvé par les communautés est parfois déconnecté des chiffres.
Il ne se
passe guère de jour sans que les médias ne relatent un tag, une dégradation ou
une insulte. Entre janvier et octobre, les actes antimusulmans recensés dans
toute la France s’affichent en hausse de 42,2 % par rapport à l’année
dernière. Sur les seuls six premiers mois de l’année, la progression atteint
37,1 % pour ceux touchant la communauté juive.
C’est parce
que cette dernière estimait être victime d’une poussée d’actes antisémites en
France que le ministère de l’intérieur a accepté en 2002 de les comptabiliser,
en coopération avec le Service de protection de la communauté juive. « Chacun
a son système de remontée d’information mais nous mettons ensuite en commun nos
données, à partir d’une nomenclature définie ensemble »,
expliquent les services du ministère de l’intérieur. Pour les mêmes
raisons, une convention semblable a été signée avec le Conseil français du
culte musulman (CFCM) fin 2010, et en particulier avec son Observatoire de
l’islamophobie.
Cette
nomenclature distingue les « actions » antisémites ou antimusulmanes
(homicides, violences, voies de fait, attentats ou tentatives d’attentat,
incendie ou dégradation) des « menaces » (propos, gestes,
inscriptions ou courrier). Ces faits peuvent concerner des personnes comme des
biens (synagogues ou mosquées, cimetières, etc.) comme la religion en général,
mais doivent toujours être pénalement répréhensibles. « Lorsque des
autocollants proclament “L’islam dehors”, nous les comptabilisons »,
précise le ministère.
En vertu du
droit de la presse, une caricature n’est pas considérée comme une
« menace », mais elle le devient si elle est envoyée par courrier à
un membre de la communauté concernée. Pour établir ces statistiques, la Place
Beauvau recense donc les plaintes, mains courantes, et constats de gendarmerie
ou de police lorsque personne n’a signalé l’incident.
Au-delà du
constat d’une forte hausse en 2012, il est bien difficile de discerner des
tendances, et plus encore d’établir des comparaisons. Globalement, et sauf pics
liés souvent à l’actualité israélo-palestinienne, le ministère de l’intérieur
insiste sur la baisse des actes antisémites depuis 2002, et met en avant son
action en matière de sécurisation des synagogues et écoles juives notamment. Le triple meurtre commis en mars par
Mohamed Merah devant l’école juive Ohr Torah à Toulouse a
toutefois montré que cette protection n’était pas infaillible et que
l’antisémitisme pouvait conduire à des sommets de violence.
Côté
musulman, un pic d’actes (tracts et courrier, inscriptions, mais aussi occupation du chantier de la mosquée de
Poitiers) a été constaté dans la foulée, puis à nouveau à la
rentrée, sans doute en lien avec les violences internationales liées à la diffusion du film L’Innocence des musulmans
attaquant le prophète Mohammed. « La
visibilité médiatique de l’islam augmente et en réaction des actes sont
commis : c’est ce qu’on pourrait appeler l’écho de l’écho »,
relève le ministère de l’intérieur, bien conscient des effets induits de
ce comptage systématique et de la publicité qui lui est régulièrement donnée.
Tout aussi
sensible est le commentaire porté sur ces actes antisémites ou
antimusulmans : quelles déclarations officielles ? Quelles mesures
prises ? Le discours tenu le 1 er novembre par le président de la
République, en hommage aux victimes de Toulouse, l’a une nouvelle
fois montré. Parce que François Hollande avait fait de « la garantie de
la sécurité » des juifs de France « une cause
nationale », Abdallah Zekri, le président de l’Observatoire de
l’islamophobie, a aussitôt, après une rencontre avec le premier ministre, demandé à son tour « une déclaration
solennelle » au président de la République « associant
également les musulmans à cette cause nationale ».
Paradoxe,
alors que ce décompte avait pour objectif de mobiliser les forces de l’ordre
contre ces actes, certains, dans chaque communauté, lui reprochent de
sous-estimer le phénomène. Ces chiffres sont « en dessous de la
réalité », assure ainsi Abdallah Zekri, « car nombreux
sont les musulmans qui ne souhaitent pas porter plainte, considérant à tort ou
à raison qu’il n’y aura pas d’aboutissement ».
« Certaines
personnes voilées à qui l’on avait refusé l’accès à un restaurant ou une salle
de sport et venues porter plainte au commissariat nous ont dit s’être fait
refouler », renchérit Marwan Muhammad, du Collectif contre
l’islamophobie en France. Surtout, tous deux insistent sur un discours ambiant
très négatif sur l’islam : « Un faisceau idéologique qui légitime
ces actes », selon la formule de Marwan Muhammad. « Les
différents débats – halal, minarets, burqa, laïcité, identité nationale,
immigration, prières des rues – ont libéré la parole des
extrémistes », appuie Abdallah Zekri.
Certains,
aussi, au sein de la communauté juive estiment que ces chiffres « sont
à prendre avec des pincettes », selon la formule du président de
la Licra, Alain Jakubowicz. À ses yeux, ils ne permettent pas de mesurer les
sentiments de la communauté juive. « On a dépassé le stade de la
crainte pour atteindre le stade de la peur, poursuit-il. Il suffit
de se rendre dans certains quartiers pour s’en rendre compte. » « Le
sentiment de crainte s’auto-alimente, confirme Richard Prasquier, le
président du Crif. Mais le fait est là, même si on a du mal à
quantifier. »
Anne-Bénédicte Hoffner et Loup Besmond de
Senneville
La Croix, 27 décembre 2012