A la suite
d'une violente attaque contre des chiites, fin août, les esprits s'enflamment.
La presse s'interroge sur l'intolérance religieuse, et revient sur l'histoire
de cette branche minoritaire de l'islam dans le plus grand pays musulman du
monde.
"La
conversion des chiites est la solution". Ce titre choc, à la une du
quotidien The Jakarta
Post, est sorti de la bouche du
ministre des affaires religieuses indonésien, Suryadharma Ali. Pour lui, la
conversion au sunnisme des adeptes du chiisme constitue la seule solution aux
violences récurrentes entre les deux communautés musulmanes sur l'île de
Madura, située au nord-est de Java. Le ministre s'exprimait quelques jours
après l'attaque menée par des musulmans sunnites contre les familles chiites de
la région de Sampang, le 26 août. Trois cents personnes se sont réfugiées dans
une forêt à la suite de l'incendie de leurs maisons et demeurent aujourd'hui
hébergées sur des terrains de tennis. En décembre 2011, un chiite avait été
frappé à mort à coups de hache par des sunnites.
Mais, loin
d'apporter une solution au conflit, les propos du ministre attisent
l'intolérance religieuse, estime un chroniqueur du quotidien Kompas.
Le conflit entre sunnites et chiites à Madura aurait été encouragé, selon Kompas,
par une fatwa prononcée par le Conseil des oulémas indonésiens (MUI) de
Sampang. Cet édit indique que le chiisme est une secte hérétique de l'islam.
Bien que le conseil ne se soit pas encore prononcé sur le sujet, cette fatwa
locale a légitimé les attaquants.
L'affaire
enflamme l'opinion nationale et le ministre adjoint des Affaires religieuses,
Nasaruddin Umar, a tenté de temporiser en déclarant au Jakarta Post :
"Nous n'avons jamais condamné l'islam chiite comme une hérésie ni banni sa
pratique dans notre pays, parce que l'Arabie Saoudite, par exemple, n'a jamais
interdit à ses adeptes de venir sur son sol pour faire le pèlerinage à La
Mecque."
Le magazine Tempo, dans sa version
en ligne, élargit le débat en donnant la parole au président du Conseil chiite
indonésien (Ijabi), Jalaluddin Rakhmat. "Certains d'entre nous avancent le
chiffre de cinq millions de chiites dans le pays. Pour ma part, je pense que
nous sommes environ 2,5 millions", précise-t-il. Seuls quelques-uns
revendiquent ouvertement leur appartenance au chiisme dans l'archipel qui compte
environ 200 millions de musulmans sunnites. "Mieux vaut pour nous vivre
cachés que dans le conflit", ajoute Jalaluddin.
Selon lui,
les premiers membres de la communauté chiite seraient arrivés à Aceh (Sumatra)
autour du VIIIe siècle. Plusieurs traditions attestent d'ailleurs de leur
présence ancienne dans l'archipel. Ainsi, le tabot, le rite typiquement
chiite de procession durant laquelle les adeptes rejouent la tragédie de
l'assassinat de la famille du prophète et la mort de Hussein à Karbala, est
aujourd'hui pratiqué par la communauté sunnite de Bengkulu. Une vague de
conversion au chiisme s'est ensuite développée au début des années 1980, avec
la révolution islamique en Iran. Pour nombre de militants musulmans indonésiens
alors muselés par la dictature de Suharto, l'imam Khomeini était un espoir. Les
étudiants qui n'avaient pas le droit de manifester retournèrent à la mosquée.
Ils se mirent à dévorer des livres sur la révolution iranienne et sur le
chiisme. Au début, la société pensait qu'il s'agissait juste d'un mouvement
intellectuel. Mais les tensions ont surgi quand les étudiants nouvellement
convertis à cette branche de l'islam ont commencé à s'intéresser au droit
canonique, s'opposant ainsi à l'interprétation sunnite du Coran.
La
fondation, au tournant de l'an 2000, de diverses associations chiites, dont
l'Ijabi, reconnue par le ministère de l'Intérieur, a également entraîné un
regain d'intérêt pour cette pratique de l'islam. "Aujourd'hui, nous ne
mettons pas l'accent sur le droit canonique mais sur la moralité religieuse et
les activités sociales. Parce que le droit canonique est cause de conflits.
Alors que pour nous, ce qui est important c'est que l'islam reste uni et
l'Indonésie en paix", explique Jallaludin au magazine Tempo.
En
attendant, les 300 chiites de Madura, toujours réfugiés sur les terrains de
tennis, sont tributaires du bon vouloir du gouverneur de Java-Est. Ce dernier
dit ne pas vouloir les forcer à quitter la région, mais ne fait rien depuis des
années pour garantir leur sécurité. Selon des critiques citées par The
Jakarta Post, le gouverneur n'est pas enclin à
aider les chiites à éviter de se mettre à dos l'électorat sunnite à l'approche
du scrutin provincial.
Source :
"Courrier International", 11 septembre 2012