1. Pourquoi parler d'un "troisième round" ?
Parce que cette semaine de violence entre Israël et le
territoire de Gaza, dirigé par le Hamas, est effectivement le troisième round
d'un vrai combat ayant commencé il y a plus de dix ans ... plus précisément, au
moment de la seconde Intifada, lorsqu'une offensive terroriste de grande ampleur
fit des centaines de tués en Israël même : ce fut l'opération "Rempart
défensif" à partir du printemps 2002, qui brisa militairement les différentes
factions palestiniennes ; et ce, essentiellement en Cisjordanie - puisque
"Gaza city" ne fut jamais réinvestie, même avant l'évacuation de ce
territoire à l'été 2005. D'une certaine manière, ce fut l'assassinat du
fondateur du mouvement islamiste, Cheikh Ahmed Yassine le 22 mars 2004 - la
direction du Hamas déclara alors qu'Ariel Sharon avait « ouvert les portes
de l'enfer », déclaration creuse et sans impact sur la suite - qui mit un
terme au premier round ; round gagné sur le plan sécuritaire interne par la fin
des attentats suicides, et perdu sur le plan politique puisque le Hamas
s'installa aux commandes du Territoire à partir de 2006 (élections) et surtout
de 2007 (élimination violente de l'Autorité Palestinienne à Gaza).
Le deuxième round fut l'Opération "Plomb durci"
entre fin 2008 et le 18 janvier 2009 , qui ressembla étrangement à l'épisode
que nous venons de vivre - opération militaire de Tsahal pour mettre un terme
aux bombardements des islamistes - et s'acheva, à nouveau par une sorte de
match nul : le Hamas resta au pouvoir (l'offensive terrestre ne fut cependant pas
menée jusqu'au bout avec cet objectif), mais Israël obtint quelques années de
calme relatif pour le Sud du pays. Mais cela, aussi, avec un "coût
politique" très lourd, les Islamistes - soutenus par un réseau efficace de
lobbyistes dans les médias et les ONG -, ayant su tirer un parti politique
maximum des pertes civiles, aussi involontaires que malheureusement importantes
dans la population de Gaza. Coût politique, aussi, parce que cette guerre mit
un terme aux négociations menées par le tandem Olmert - Livni avec l'Autorité
Palestinienne, et au final contribua a faire revenir la Droite au pouvoir aux
élections suivantes.
2. Que penser de la "théorie du calcul électoral"
lancée à propos de cette guerre ?
Qu'elle est aussi stupide
qu'abjecte. Stupide, car comme on l'a vu les Israéliens sanctionnent leurs
gouvernants quand ils jugent qu'ils ont mal mené un conflit, et ce depuis la
première arrivée du Likoud au pouvoir après la guerre du Kippour, jusqu'à
l'épisode précédent sur Gaza, comme on vient de le rappeler. Et abjecte, comme
l'écrivait Bernard-Henri Levy dans son bloc-note du "Point", le 22
novembre dernier : "Et je ne parle pas de ces experts ès conspiration qui,
confortablement installés dans leur fauteuil d’éditorialiste ou de stratège en
chambre, ne veulent voir dans cette histoire que la main démoniaque d’un
Netanyahou trop heureux d’une nouvelle guerre qui va faciliter sa réélection. Je
n’entrerai pas dans des comptes d’apothicaire remontrant à ces ignorants que
tous les sondages, avant la crise, donnaient Netanyahou déjà largement gagnant."
3. Mais justement, que
pensent les Israéliens après cette semaine d'affrontements ?
Nous disposons de deux enquêtes d’opinion, respectivement publiées par la chaîne 2 de télévision israélienne et par le quotidien Maariv. Selon le premier sondage, 64% des Israéliens estiment que la pérennité du cessez-le-feu ne sera que « de courte durée » alors que 24% estiment qu’il ne « tiendra pas du tout ». Une majorité d’Israéliens (58%) estiment toutefois que la force de dissuasion de Tsahal a été restaurée, contre 23% de sondés, qui affirment qu’elle demeure « inchangée ». Pour 49% des Israéliens, révèle de son coté l’enquête du Maariv, Israël aurait du poursuivre l’opération «Pilier de Défense », alors que 31% se déclarent favorables au cessez-le-feu, et 20% d’indécis. 41% des personnes interrogées refusent toutefois l’idée d’une réoccupation de la bande de Gaza. A la question « êtes-vous
favorable à une présence militaire permanente dans la bande de Gaza ? », seuls 29% ont répondu par la positive, contre 30% d’indécis.
Des
résultats importants, parce qu'ils donnent la parole aux principaux intéressés
et non aux journalistes français qui prétendent penser à leur place. Clairement,
les Israéliens sont partagés, dans la mesure où ils pensent qu'il y aura
"d'autres rounds", donc que cela n'a pas été une victoire définitive.
Contradiction, aussi, dans le souhait d'une poursuite des opérations, mais en
même temps dans le refus de réoccuper le Territoire. Tout cela, et en particulier
pour le million d'habitants du Sud du pays, peut se traduire par des pertes
sèches pour le Likoud au moment des élections de fin janvier ... et rend à
nouveau stupide la "théorie du calcul électoral".
4.
Tsahal a-t-elle effectivement restauré sa force de dissuasion ?
Oui,
si on se base sur une considération simple : comme à fin 2008, le Hamas et les
factions islamistes dissidentes (ces dernières l'entrainant peut-être dans
l'affrontement par leurs provocations) ont testé, pressurisé, mis à l'épreuve
Israël en lui imposant un challenge impossible : accepter un niveau de
bombardements - plusieurs dizaines de missiles envoyés par jour - paralysant la
vie des habitants du Sud du pays ; ou alors, risquer une pluie de missiles (on
en était à plusieurs centaines par jour dans cette guerre) s'il réagissait. Le
gouvernement israélien a relevé ce défi, et contraint le Hamas à accepter un
cessez-le-feu après avoir subi des lourdes pertes, tout en limitant les dégâts
dans le pays (voir question suivante).
Non,
si la dissuasion consiste à décourager définitivement l'ennemi de reprendre les
hostilités : le Hamas a tôt fait de proclamer sa "victoire" dès le
jeudi 22 novembre, congratulé à la fois par l'Autorité Palestinienne et par
l'Iran - tous deux rivalisant dans un grand concours d'hypocrisie car sur le
fond cette fin de partie doit les décevoir, pour des raisons différentes. Ceci
étant, le réarmement des milices islamistes reprendra, et il faut craindre
effectivement qu'une fois rééquipé en missiles de tous types, elles reprendront
une nouvelle vague d'attaques contre Israël. Non, également, car comme en 2004,
comme en 2009, tant que le Hamas est aux commandes, la dissuasion ne
fonctionnera jamais face à sa logique à la fois terroriste et
"révolutionnaire".
5. La défense du territoire et des habitants a-t-elle été
efficace ?
Oui, largement. Parce qu'heureusement il n'y a eu que six
tués. Et parce que les missiles des Islamistes auront marqué peu de "tirs
au but". Prenons les statistiques officielles de l'armée : il y a eu 1534 missiles lancés au total ; le système
"Dôme de fer" a eu 88% de réussite sur les missiles qui devaient
atterrir dans des aires peuplées. (428/484) ; près de 890 missiles sont
tombes dans des aires vides ; et près de 160 missiles sont tombés dans la
bande de Gaza, ce qui confirme l'imprécision de ces armes primitives !
Ceci étant, et si on se place
dans la perspective angoissante d'une guerre générale avec l'Iran et ses
alliés, le paysage semble moins rassurant ... Ce sont des dizaines de milliers
de missiles que possède le Hezbollah, et Israël ne possède à ce jour que 5
batteries de son "bouclier" d'anti-missiles, mobilisé à 100 % pour
faire face à l'arsenal largement moins important du Hamas ; ceci, sans
considérer les missiles à moyenne portée "Fajr 5", capables comme on
l'a vu, pour la dizaine lancées cette fois-ci, d'atteindre Tel Aviv et le
centre économique du pays ; l'aviation sera-t-elle capable, comme en 2006 au
dessus du Liban, comme en 2012 au dessus de Gaza, d'éliminer dès le départ le
plus gros de cette redoutable menace ?
6. Faut-il être satisfait de
l'attitude égyptienne ?
Oui, largement. Non seulement,
un gouvernement de "Frères musulmans" ne s'est pas laissé entrainer
dans un conflit souhaité par ses homologues de Gaza, mais en plus il aura joué
un rôle de médiateur permettant un cessez-le-feu, donc d'éviter à Israël une
intervention terrestre au final.
Non, dirons les Israéliens
"souhaitant en finir avec le Hamas", et justement pour la même raison,
car le Hamas n'a pas été renversé cette fois encore ; quand aux sentiments
profonds du Président Mohammed Morsi, on les sait inamicaux envers leur pays,
ce n'est pas un scoop ! S'il ne dénonce pas, encore, le traité de Paix, c'est
surtout parce qu'il a trop besoin de l'aide américaine.
Mais une lecture plus fine des
évènements peut révéler aussi autre chose, à savoir la mise en action,
discrète, d'un 'front sunnite" pour éviter un conflit voulu au final par
l'Iran chiite ... et par son allié syrien aux abois. Comme l'écrivait le site
Guysen, "Malgré
leur haine commune d'Israël , et les congratulations du Hezbollah pour les
actes de terreur du Hamas, leurs divergences sont profondes concernant la
Syrie. Le responsable des relations internationales du Hamas et représentant de
l’organisation au Liban, Oussama Hamdan, a déclaré un gel des relations avec le
mouvement du Hezbollah".
On notera enfin l'absence de manifestations d'envergure
dans le monde arabe et au niveau international - mais ce contraste avec 2009
était directement lié au bilan des tués palestiniens bien plus modeste, en
raison, justement, de l'absence d'engagement terrestre.
Jean Corcos
Jean Corcos