Caricature anti-Obama, dans une manifestation à Téhéran, 2 novembre 2012
Il y a des actualités qui surprennent, et forcent les
commentateurs soit à avouer qu'ils ont été pris de court (ce qu'ils font
rarement, la modestie n'étant pas une vertu communément partagée), soit à
élaborer un éditorial sur "les signes qui auraient pu le laisser prévoir,
etc".
Rien de tel pour la réélection de Barack Obama : on
prévoyait que le scrutin serait serré, et il le fut car moins de deux millions de
voix (soit environ un 1 % seulement du corps électoral) ont séparé les deux
candidats ; on pronostiquait qu'il gagnerait parce qu'il avait le plus de chance
de l'emporter dans les "swing states" et ce fut le cas, car il les a
presque tous conquis - Mitt Romney ne parvenant à reconquérir pour les
Républicains que des États qui leur étaient plutôt favorables, et furent perdus
quatre plus tôt à l'occasion du "raz de marée" démocrate ; raz de
marée qui, cette fois-ci ne s'est pas reproduit, les efforts gigantesques de
mobilisation en faveur du candidat sortant ayant permis d'éviter un échec
"sur le fil", mais pas d'obtenir la même participation massive qu'en
2008. Corollaire de cette victoire en demi-teinte, le retour d'une Chambre des
Représentants majoritairement républicaine, et qui risque de faire de
l'obstruction.
Les commentateurs nous disaient aussi que les États-Unis
étaient profondément divisés, et l'analyse des votes confirment une
"cassure" gauche/droite absolument évidente, si on fait une
corrélation simple avec ce que donnent les élections de ce côté-ci de
l'Atlantique : les femmes (cette tendance s'est d'ailleurs inversée en quelques
décennies), les jeunes, les minorités ethniques votent plutôt pour la Gauche,
rejoignant ainsi en Europe comme en Amérique, les couches les moins favorisées.
Une politique considérée comme plus progressiste - et on ne peut nier que ce
fut le cas, du sauvetage de l'industrie automobile aux assurances maladies pour
tous -, associée au fait que l'on risquait de réélire (ou de voir battu) le
premier Président "coloré" de l'Histoire des USA, tout cela a joué,
certainement ... On trouvera sur
ce lien des statistiques très parlantes, publiées par "Le
Figaro". La polarisation droite-gauche a ainsi joué à plein, confortée
par la "dérive" du parti républicain, dérive peut-être plus
médiatique (avec l'aile ultra-libérale des "Tea Party") que réelle (Mitt
Romney ayant bien "recentré" sa campagne), mais qui a fait perdre
quelques sièges de Sénateurs à l'opposition (ceux qui s'étaient illustrés par
des propos provocateurs sur l'avortement) : clairement, ce n'est pas sur cette
ligne-là que le "parti de l'éléphant" reviendra au pouvoir.
Ce long préambule surprendra, sans doutes, sur ce blog
consacré au monde musulman et donc prioritairement à la politique étrangère,
mais il était indispensable pour remettre les pendules à l'heure tant on a trop
tendance à oublier pourquoi les électeurs votent, là-bas comme ici : or voici
que j'ai découvert - à nouveau sans surprise - un concert de lamentations sur
les blogs juifs et dans les publications de la plupart de mes amis sur FaceBook
...
Passons - même si c'est insupportable - sur les inévitables
variations sur "Barack Hussein Obama", le "muzz" (diminutif péjoratif
de musulman), qui ne rêverait que de détruire la puissance de son pays,
d'offrir le monde arabe aux islamistes, et d'imposer à Israël à la fois un
retrait sans garanties sur les frontières de 1967 et un Iran nucléaire. Mais
autant on peut comprendre le refus de voter pour lui pour son bilan en
politique intérieure - et le fait d'avoir échoué à relancer l'économie tout en
creusant de manière abyssale les déficits ne plaide pas en sa faveur - autant ce genre de procès d'intention
mérite un minimum de réponses :
- oui, les relations d'Obama et de Netanyahou ne sont pas
cordiales, mais c'est le droit d'un dirigeant américain de critiquer la
politique d'un allié, comme cela s'est vu dans le passé ;
- non, l'Amérique n'a pas abandonné Israël, les responsables
politiques de ce pays reconnaissant que jamais les liens militaires n'auront été
si étroits ;
- oui, on peut être déçu pour l'Iran, de ces années perdues
avec la main tendue naïvement en 2009 à un régime infect , et du temps mis à
mettre en route de véritables sanctions : mais celles-là sont réelles,
appliquées conjointement avec tous les alliés occidentaux et elles font sentir
leur effet ;
- non, certes Obama a refusé de définir une "ligne rouge"
à la République Islamique comme lui enjoignait le Premier Ministre israélien,
mais son challenger républicain s'était bien gardé d'en faire la promesse de
son côté ;
- oui, il y a eu au début une crise à propos de la
construction dans les implantations, mais aujourd'hui les deux pays sont au
diapason pour la question palestinienne, la reprise de négociations sans
conditions étant leur discours commun ;
- non, Obama ne pouvait rien faire pour éviter la chute des
dictatures alliées des États-Unis dans le monde arabe, et imagine-t-on
sérieusement qu'un Président républicain allait envoyer des centaines de
milliers de soldats au Caire, à Tunis ou ailleurs ?
Alors ? Pour parler tout à fait sincèrement, je crains qu'un
pacifisme plus idéologique que réfléchi n'empêche le candidat réélu d'affronter sans faiblesse l'Iran. Je crains,
surtout, que l'état des finances américaines et la profonde division du pays,
n'interdissent à la première puissance du monde de prendre ses responsabilités si
ses alliés se trouvaient dans une situation critique ... cela, on l'a connu au
cours des années 70 et on a vu ce que cela a donné ; on l'a connu, aussi, au
tournant des années 40 après la grande dépression, et on sait comment cela a
failli se terminer ; et ce souvenir - vu d'Israël et du peuple juif - laisse
augurer des années bien peu réjouissantes, quand bien même il serait trop
facile de diaboliser Barack Obama !
Jean Corcos