Policiers devant le domicile de Jérémy Louis-Sidney,
le terroriste abattu le 6 octobre à Strasbourg
Plusieurs
des personnes arrêtées lors de l'opération antiterroriste à Strasbourg et à
Cannes présentent un profil bien connu: celui du petit délinquant d'un quartier
difficile converti à l'islam et radicalisé.
Le
démantèlement samedi d'une cellule islamiste radicale, soupçonnée d'une attaque
antisémite en septembre, confirme une préoccupation ancienne des policiers et
experts : en France, le premier risque terroriste n'est pas importé, mais
représenté par des jeunes qui y ont grandi.
"C'est
toute la difficulté... Il ne s'agit pas de réseaux terroristes qui viennent de
l'extérieur, il s'agit de réseaux qui sont dans nos quartiers. Il ne s'agit pas
d'étrangers, il s'agit de Français convertis, de Français musulmans", a
expliqué samedi soir Manuel Valls.
"Il y a
un antisémitisme qui est né dans nos quartiers, dans nos banlieues", avait
mis en garde en juillet le ministre de l'Intérieur, dénonçant ceux qui
"considèrent le Juif comme l'ennemi".
Jérémy
Louis-Sydney, un converti de 33 ans, tué l'arme à la main samedi à Strasbourg,
est soupçonné d'avoir jeté une grenade défensive dans un supermarché casher de
Sarcelles le 19 septembre. Samedi, une liste de lieux israélites en région
parisienne a été retrouvée lors des perquisitions.
Les onze
gardés à vue sont Français, plusieurs sont convertis. Comme Louis-Sidney,
certains étaient jusqu'alors connus pour des faits de droit commun, un profil
de délinquants radicalisés qui rappelle celui de Mohamed Merah.
La dérive de
Louis-Sidney semble avoir été plus rapide : quand Merah était dans les fichiers
des Renseignements dès 2006 comme frayant avec un groupuscule salafiste
toulousain, Louis-Sidney n'était apparu qu'au printemps sur les radars de la
DRCI comme possible apprenti jihadiste.
Cette
porosité entre délinquance et islamisme radical est loin d'être nouvelle : au
milieu des années 1990, Khaled Kelkal et les membres du Gang de Roubaix, pour
la plupart des convertis, présentaient un pedigree semblable.
"100 à 200 en France"
Ancien chef du service Renseignement de sécurité de la Direction générale de
la sécurité extérieure (DGSE), Alain Chouet esquisse le portrait de gens
"borderline", "qui ne se sentent pas bien dans leur peau, comme
Merah et qui essaient de rationaliser leur mal être", qui
"manifestent leur colère en s'en prenant aux Juifs".
Combien
sont-ils susceptibles de verser dans l'action terroriste? Selon Alain Chouet,
"cent à deux cents en France". Mais surveiller une personne 24 heures
sur 24 nécessite "une quinzaine de policiers". Si la
détention peut constituer une étape de radicalisation, c'est moins le cas que
dans les années 1990 et 2000, explique M. Chouet, selon qui "ces dernières
années le prosélytisme a baissé car l'Administration pénitentiaire a pris des
mesures pour sélectionner les imams qui interviennent en prison".
De plus,
sans que ce soit dit, "les prisonniers musulmans sont, autant que faire ce
peut, séparés dans les prisons", poursuit Alain Chouet.
Dans son
budget pour 2013, le ministère de la Justice a prévu la création de 15 emplois
d'aumôniers musulmans (environ 150 actuellement). S'il n'existe aucune
statistique officielle, en 2008 la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie avait
estimé à plus d'une centaine le nombre des détenus en voie de radicalisation
islamiste.
Selon les
premiers éléments de l'enquête, Louis-Sidney ne s'est pas forcément radicalisé
pendant sa période de détention après sa condamnation dans une affaire de
stupéfiants en 2008.
Son groupe
est "une cellule de gens qui communiquent entre eux et qui se sont
radicalisés au sein de la mouvance salafiste dans les lieux de prières et sur
les forums jihadistes", analyse Jean-Claude Brisart, enquêteur privé et
spécialiste du terrorisme islamiste.
Lors des
perquisitions de samedi, a été retrouvé un exemplaire d'Inspire, la revue
anglophone d'Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa), notamment destinée à
inciter au jihad les musulmans occidentaux.
Loïc
Venance,
L'Express.fr le 7 octobre 2012
Avec AFP