«Robin des Bois des banlieues» ou «zozos
irresponsables»? On entend de tout, ces jours-ci, au sujet des membres
de l’Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld).
Eux qui, en novembre 2011, ont été reçus au palais Diwan par l'émir du Qatar en
personne, le cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, pour lui demander
d’investir dans les banlieues. Une initiative qui se concrétise aujourd'hui
avec la mise en place par le ministre du Redressement productif, Arnaud
Montebourg, d'un fonds franco-qatari d'au
moins 100 millions d'euros à destination des «territoires délaissés». Décidée «à
rester vigilante le temps que le dossier soit définitivement sur les rails»,
l'Aneld a fait savoir qu'elle ne s'exprimerait pas pendant quelque temps dans
les médias. Au risque d'entretenir un certain mystère.
Pragmatisme anglo-saxon
En réalité, cette association est née en 2009, peu de temps après
l'élection du premier président noir des Etats-Unis, Barack Obama. Ambition
déclarée du collectif: convertir la France au «pragmatisme anglo-saxon
sur l’intégration des minorités.» Sur le site de l’Aneld, on peut lire
ce petit texte à valeur de profession de foi: «Notre combat, participer
activement à faire progresser ce vieux et récurrent débat sur la diversité.
Nous voulons également être une force de propositions, car nous savons que
faire progresser cette thématique, n’est pas de gauche, de droite ou du centre,
c’est une ambition que chacun peut faire sienne.»
Rapidement, l’Aneld fait de la publication de statistiques ethniques dans
l’Hexagone son cheval de bataille. Et multiplie les voyages d'études à l'étranger.
Canada, Suède, Maroc, de nombreux pays sont passés au peigne fin. Au printemps
dernier, un documentaire de Canal+, intitulé «La diplomatie des banlieues», suivait
une délégation de l'Aneld aux Etats-Unis. Les élus y enchaînent les rencontres
avec d'éminents représentants du Parti démocrate, mais aussi avec des
chercheurs de la société civile. En rentrant, ils rédigent des synthèses qu’ils
soumettent aux parlementaires français, comme des lobbys vanteraient les vertus
d’un nouvel incinérateur moins polluant.
Hamza, sarkozyste décomplexé
Habile communiquant, le président de l’Aneld, Kamel Hamza, la quarantaine,
a offert à son collectif une visibilité médiatique de tout premier ordre.
Conseiller municipal UMP de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), et sarkozyste
décomplexé, il est la figure charismatique de l’association. A tel point qu’il
est courant d’entendre dans les couloirs de l’Assemblée nationale que l’Aneld
est une formation de droite. L'élu vert de Vigneux (Essonne), Fouad Sari, et la
centriste Leïla Leghmara, de Colombes (Hauts-de-Seine), sont pourtant les
lieutenants les plus visibles d’Hamza. A l'échelon national, l’Aneld compterait
200 adhérents de tous bords.
En ces temps de polémique autour du fonds franco-qatari, c’est peu dire que
l’Aneld en prend pour son grade. En coulisses, des acteurs de l’intelligence
économique vilipendent «cette bande de cow-boys qui n’ont pas un cinquantième
de légitimité pour démarcher un chef d’Etat étranger. Pour qui se prennent-ils?
C’est au ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, ou à la cellule
diplomatique de l’Elysée de gérer de tels enjeux. Ils outrepassent largement
leur rôle.» Pendant la campagne présidentielle déjà, l’entourage du
ministre de l’Intérieur d'alors, Claude Guéant, artisan du rapprochement
France-Qatar durant les années Sarkozy, s'était irrité «du bordel foutu
par l’Aneld. Ces élus n’ont pas compris dans quoi ils foutaient les pieds. Les
relations franco-qatariennes, c’est plus que sensible».
«Les fantasmes sur le Qatar ne se posent que lorsqu’ils investissent
en banlieue»
L’association cristallise une partie des méfiances contre ce projet. Et ne
bénéficie pas d’une reconnaissance institutionnelle lui permettant d'être
considérée comme un interlocuteur valable. Pour le ministre de la Ville,
François Lamy, «ce petit groupe d'élus» n’a tout
simplement pas compétence pour décider de la distribution de telles aides à
l’investissement sur l’ensemble des zones paupérisées. L’association Villes et
Banlieues est, elle, encore plus radicale: «Il s’agit d’un groupe
d'élus de banlieue communautaires. Or, pour nous, il n’est pas question de
faire entrer le fait religieux ou le fait communautaire dans l’attribution
d’aides. Ce serait stigmatiser encore la banlieue», explique Renaud
Gauquelin, qui souhaite une «clarification de cette question».
Reste que dans les quartiers populaires, l’annonce du déblocage des fonds
venus du Golfe est plutôt bien accueillie. La page Facebook du collectif est
par exemple pleine de messages de jeunes proposant leurs services ou leurs CV.
Pour Mohamed Mechmache, président d’ACLeFeu,«les fantasmes sur le Qatar et
les musulmans ne semblent se poser que lorsqu’ils investissent en banlieue». «Cette
question ne se pose pas quand ils entrent au PSG, chez Lagardère ou Veolia».
Selon lui, la réponse positive du Qatar aux sollicitations de l’Aneld est peu
surprenante. «Il y a dans les quartiers un vivier de gens qui ont des
idées, des compétences, des projets mais qui ne trouvent personne pour les
accompagner. L’Etat a déserté et les banques refusent systématiquement de
s’engager à leurs côtés. Ce n’est pas parce qu’il y a des musulmans dans les
quartiers que le Qatar est venu, c’est parce qu’il y a des projets.»
Alice Géraud et Willy Le Devin,
Libération le 25 septembre 2012