Introduction :
Le propre d'un intellectuel de bonne foi étant de
saluer des paroles dans lesquelles on se reconnait même si on n'a pas de
sympathie pour ses auteurs - et c'est mon cas vis à vis de ce journal - je
tenais à reprendre ici cet éditorial publié sur leur site le 8 octobre. Deux
remarques en complément de cette introduction :
- le choix des mots est encore plus brutal que celui
retenu par le CRIF (et dans lequel je me reconnais), car le terme
"islamisme" (qui englobe toutes les mouvances de "l'islam
politique") a été choisi plutôt que celui "d'islam radical" ;
- suite à cet article sur le site du journal - comme
sur d'autres sites, reprenant en particulier les propos du Président du CRIF
Richard Prasquier - s'étale une haine antisémite sans complexes, et exprimée
par des lecteurs visiblement d'origines diverses.
J.C
Le week-end a confirmé une sinistre réalité : il
existe en France des groupes déterminés à la violence contre les juifs. Il faut
lire les évènements de Strasbourg à l'aune de cette simple et cruelle évidence
factuelle.
Elle relève
d'une actualité récurrente où la police enregistre çà et là une myriade
d'agressions de rue : tirs sur la synagogue d'Argenteuil, gamins qui se font arracher
leur kippa ou tabasser parce qu'ils en portent une.
Cette
évidence cruelle surgit à la "une" de l'actualité dans des
circonstances plus dramatiques. Quand, pour la première fois depuis la fin de
la guerre, des enfants sont tués en France parce qu'ils sont juifs, avec les
crimes perpétrés à Toulouse par Mohamed Merah il y a plus de six mois.
Quand une
grenade est lancée en pleine journée dans une supérette casher de Sarcelles,
dans la région parisienne, comme il y a deux semaines. Quand la police
démantèle un réseau islamiste et le trouve en possession d'une liste de projets
d'attaques contre des associations juives de France, comme ce samedi 6 octobre.
Cette
violence n'est pas indiscriminée ; elle est bel et bien ciblée. Elle est
commise au nom de l'islam, censé inspirer un combat islamiste, djihadiste,
al-qaïdiste. Même si ses auteurs, en général convertis de fraîche date et
baignant dans le banditisme, ignorent tout de l'islam.
Elle est
souvent accompagnée d'un invraisemblable salmigondis idéologique où se mêlent
des causes qui ne peuvent, à juste titre, laisser les musulmans de France
insensibles : cela va du Proche-Orient à l'Afghanistan.
Mais,
élément nouveau et terrifiant, cette violence emprunte aussi, sinon surtout, au
vieil anti-sémitisme européen, celui qui avait cours en France à la fin du XIXe
siècle. Elle véhicule sur les juifs tous les préjugés racistes de l'époque ;
elle réhabilite théories du complot et archétypes les plus ignobles. C'est au
nom de cet antisémitisme qu'Ilan Halimi a été enlevé puis torturé à mort par le
"gang des barbares" en 2006.
Internet
véhicule à plaisir ce renouveau antisémite sur une floppée de site islamistes
où la haine des juifs est au cœur d'un discours antioccidental.
Avant et
plus encore après le drame de Toulouse, les responsables de la communauté juive
avaient tiré la signal d'alarme. Sans être assez entendus, ils mettaient en
garde contre la renaissance d'un antisémitisme virulent dans certains quartiers
des villes françaises. La mort de Merah a été suivie d'une vague d'agressions
contre les juifs.
Telle est la
réalité, simple, crue – irréductible à telle ou telle explication gépolitique.
C'est une réalité franco-française. Elle ne "résume" pas nos banlieues,
mais elle est là. Elle occulte des initiatives admirables où juifs et musulmans
luttent ensemble contre les dérives radicales.
L'islam de
France ne manque pas de grandes voix pour combattre le racisme antijuif. Elles
le font régulièrement, presque rituellement. Mais la prise de conscience doit
être nationale : cette affaire-là nous concerne tous.
Editorial du journal "Le Monde",
8 octobre 2012