La politique étrangère menée par Ankara
depuis le printemps arabe s’est illustrée par un échec flagrant. Comment
expliquer ce constat ? Pour le chroniqueur Cumali Önal, le changement de
paradigme stratégique turc du «soft power», plus en souplesse, à
un «smart power» plus offensif explique cet échec et ce retour en arrière
diplomatique.
L’échec de la politique étrangère turque,
amorcé avec le printemps arabe, ne cesse de s’aggraver. Il n’y a plus trace
aujourd’hui de cette Turquie qui développait de nouveaux objectifs avec l’Union
européenne, Israël et l’Iran d’un côté, et qui, de l’autre, concevait des
projets à long terme avec la Syrie, la Russie et les États-Unis. Comme dans le
cas de sa politique intérieure, le gouvernement présente des signes
d’épuisement. Les développements en Syrie expliquent certainement, dans une
large mesure, l’état actuel de la politique étrangère. La Turquie, et en
particulier le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, n’a cessé de multiplier
les déclarations fermes sur la crise syrienne, lançant des menaces au régime de
Bachar al-Assad. Cependant, force est de constater que nous avons été laissés
seuls face à la crise syrienne. Les pays occidentaux font profil bas dans leur
soutien à la Turquie face à la crise syrienne, et le pays est bien conscient
que ce type de soutien, typiquement occidental, sera complètement abandonné si
les pays occidentaux estiment la chose nécessaire.
Les illusions
égyptiennes de la Turquie
Quatre pays arabes qui ont renversé leurs
dictateurs par le biais d’une révolution – à savoir l’Egypte, la Libye, la
Tunisie et le Yémen – ne voient pas dans la Turquie un modèle et ne la rangent
pas davantage dans la catégorie des pays auxquels ils attachent une importance
particulière, et ce, malgré tous les efforts et les initiatives diplomatiques
déployés en ce sens par la Turquie. En particulier, il semble très peu probable
que l’Egypte, où les Frères musulmans ont aujourd’hui conquis le palais
présidentiel, établissent des liens plus étroits avec la Turquie, en dépit des
efforts intensifs de l’administration de M. Erdogan. Dès lors, établir au
Moyen-Orient une relation de coopération avec l’Egypte qui serait comparable à
celle qui existe entre l’Allemagne et la France en Europe est à court terme un
vœu pieux. La nouvelle priorité de l’Egypte a été clairement révélée par la
visite en Arabie saoudite de son nouveau président Mohamed Morsi. Non seulement
la politique étrangère turque a échoué à s’adapter aux nouvelles conditions,
mais encore ses organes diplomatiques – représentés par le Bureau de la
diplomatie publique, l’Agence turque de coopération et de développement (TIKA)
et les différents centres culturels Yunus Emre – se sont également révélés
inefficaces. Par ailleurs, le projet du gouvernement visant à développer les
sections arabes de l’agence de presse Anatolie et de la Radio et télévision
turque (TRT) dans le but de développer l’image de la Turquie semble également
s’être soldé par un échec. L’élan qu’avait créé la politique de la Turquie
vis-à-vis d’Israël semble avoir disparu. Ni Israël, ni les groupes palestiniens
ne font plus mention de la Turquie. En particulier, nous voyons de près
aujourd’hui comment les efforts de la Turquie vis-à-vis de la question
palestinienne se sont révélés improductifs.
Un retour à l’ancien
régime diplomatique
Quant à la politique de la Turquie
vis-à-vis de l’Irak, c’est une énigme. Nous ne voyons pas aujourd’hui ce que la
Turquie a gagné à offrir refuge à l’ancien vice-président de l’Irak Tariq al-Hashimi.
Et le monde arabe n’apprécie pas, pour le moins, le fait que la Turquie lui ait
offert l’asile. Au contraire, la campagne anti-turque dirigée par le Premier
ministre irakien Nouri al-Maliki, qu’on décrit comme étant un second de Saddam
Hussein, s’accentue. On sait par ailleurs que les chiites irakiens ne se
sentent plus proches de la Turquie. En raison de la politique turque vis-à-vis
de la Syrie, les relations turco-iraniennes connaissent leur période la plus
tendue ces dernières années. Les deux pays sont en concurrence implicite, et
cherchent à s’affaiblir l’un l’autre. Les signaux d’alarme concernent également
les relations de la Turquie avec un certain nombre d’organisations
internationales et de puissances mondiales, y compris l’UE, l’Union africaine,
la Russie et les États-Unis. Pour certains, la raison principale de ces
problèmes est que la Turquie a abandonné sa stratégie de pouvoir doux (soft power) pour la remplacer par une stratégie de pouvoir intelligent (smart power). Quelle que soit la raison, la Turquie a besoin d’un nouveau dynamisme et
d’un nouvel enthousiasme en matière de politique étrangère. Après avoir été
menée avec succès, la stratégie du «zéro problèmes» a été complètement mise de
côté. La Turquie est retournée à la politique étrangère qu’elle poursuivait
avant l’arrivée au pouvoir de l’AKP. Il n’existe aujourd’hui pratiquement aucun
pays limitrophe avec lequel la Turquie n’ait pas de problèmes.
Cumali Önal,
Zaman Today, 27
juillet 2012
Nota de Jean Corcos :
Intéressant article que cette critique
publiée par l'édition Internet du journal international turc "Zaman"
: rattaché au mouvement conservateur religieux de Fethullah Gülen, on le disait
proche du parti au pouvoir AKP. Or - et ce n'est pas la première fois qu'on le
constate - on découvre ici une critique nette de la diplomatie du Premier
Ministre Erdogan ...