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02 septembre 2012

Candice Cohen-Ahnine, in memoriam


Il y a des photos souvenir dont on ne se doute pas combien, après coup, elles peuvent sembler douloureuses ... Je "n'immortalise" pas systématiquement, loin de là, les passages de mes invité(e)s dans notre studio de Judaïques FM, mais j'avais eu l'idée de le faire, ce jour là, le 1er mai dernier, alors que j'enregistrais mon interview de Candice Cohen-Ahnine qui devait passer le dimanche suivant.

Je ne l'avais encore jamais rencontrée, mais je me souviens combien j'avais été frappé, à la fois par sa beauté, son calme et l'air résolu avec lequel elle répondait à mes questions. Pourtant, je n'avais été pas été complaisant, lui reprochant - mais bien sûr sans brusquerie, je l'espère - sa naïveté qui lui avait fait croire aux sornettes du Prince saoudien l'ayant séduite (pour mémoire, il lui avait fait croire au début de leur liaison que sa grand-mère était juive). Je lui reprochais aussi de ne pas avoir écouté ce que lui conseillaient ses parents et ses amis, en laissant l'amour l'aveugler complètement ; et d'avoir pu le suivre jusqu'au Liban, en vivant même à ses côtés la guerre de 2006 : comment une jeune fille juive avait-elle pu aller jusqu'à côtoyer, ainsi, les pires ennemis d'Israël ? Je savais aussi - et on l'a suffisamment lu sur les forums de la "blogosphère juive" -, combien cette liaison avait été jugée sévèrement par certains dans ma communauté, qui l'ont traitée dans les termes les plus grossiers !

Cependant, je tenais à faire cette émission pour différentes raisons. Candice avait été reçue par plusieurs radios juives consœurs, et par des médias israéliens. La cause essentielle, celle de son livre au titre qui résumait tout - "Rendez-moi ma fille" - c'était Haya, cette fillette de 11 ans retenue en Arabie Saoudite à l'issue d'un traquenard. Il fallait donc l'aider, car il s'agissait d'abord d'une cause humanitaire, comme celle des infirmières bulgares jadis otages de Kadhafi, comme celle de Guilad Shalit, objets d'émissions passées et que j'avais rappelées en introduction. J'avais dit : "j'espère Candice que cette interview vous portera chance et que votre fille sera bientôt libérée". Hélas, elle ne la reverra jamais, et cette interview me laisse bien sûr un souvenir bien amer, après sa mort aussi brutale qu'injuste, si jeune - elle avait 35 ans - et surtout, intervenue dans des conditions troubles ... j'y reviendrai plus loin. Mais j'avais trouvé intéressant, aussi, de faire entendre à mon auditoire de la fréquence juive un témoignage unique, celui de quelqu'un ayant passé une partie de sa vie au Moyen-Orient. Pas le témoignage d'un expert, mais celui d'un regard innocent et sans haine, évoquant à la fois la gentillesse et l'hospitalité en Égypte comme au Liban, que l'antisémitisme hystérique dévoilé plus tard dans la famille du fameux Prince Sattam el-Saoud !

A propos de la mort de Candice, que dire d'autre qu'elle aura été aussi tragique que sa courte existence ? Pour rappel, elle a chuté du quatrième étage de son domicile, après avoir glissé en essayant d'enjamber la rambarde en fer forgé devant sa fenêtre, sans doute pour rejoindre l'appartement de ses voisins, deux balcons plus loin. Il suffit de taper son nom sur le Web pour retrouver le fil complet des articles publiés depuis le 17 août, jusqu'à hélas, le récit terrible de son enterrement : d'autopsies en enquête de police, la malheureuse n'aura pu être inhumée qu'au bout de deux semaines ; et même son enterrement jeudi dernier aura donné lieu à une bagarre entre sa famille et son ex-mari, mis en cause dans sa mort - une plainte a d'ailleurs été déposée contre lui. N'étant pas un journaliste d'investigation, je n'ajouterai rien à ce que vous lirez par ailleurs, et je voudrais pour terminer, revenir à son combat pour retrouver sa fille.

Outre cette émission de radio, j'ai eu l'occasion de revoir Candice une deuxième et dernière fois au CRIF, dans le cadre de la "Commission pour les relations avec les Musulmans" que j'ai l'honneur de présider. Il s'agissait d'essayer de l'aider, par nos propres contacts, à retrouver sa fille ... Si des autorités respectées en matière de jurisprudence islamique avaient pu prendre sur elles de défendre son dossier, si un "mémo" avait pu être déposé auprès du souverain saoudien - apparenté, mais pas en ligne directe du fameux Prince - alors, espérions-nous, y avait-il une chance. Aucun mariage en bonne et due forme n'avait uni Candice au père de sa fille, et en droit musulman, il ne s'agissait que d'une - mot affreux - "fornication". Bien sûr, il fallait par ailleurs rester discret, et surtout ne pas donner l'impression que la communauté juive se mobilisait, vu le contexte : précaution inutile maintenant, et nous pouvons en parler alors que la malheureuse ne peut plus revoir Haya.

Il reste, maintenant, à espérer que ses grands-parents maternels, brisés par le chagrin, auront quand même la possibilité, eux, de l'embrasser à nouveau. Cette fillette est de nationalité française car née en France. Le 12 janvier 2012, Candice avait obtenu de la justice française, la garde de sa fille ainsi qu'une pension. Mais le père avait refusé ce jugement en déclarant : « Je préfère encore aller me cacher comme Ben Laden dans les montagnes avec Haya" ; et, suprême méchanceté, il refusa à la famille de son ex-compagne une photographie récente de la petite fille, qui aurait été déposée sur le cercueil.

Jean Corcos