Le marché aux esclaves, toile de Jean Léon Gérôme
Nous allons essayer d'oublier
un peu l'actualité en nous plongeant dans une page d'Histoire, une page
particulièrement mal connue puisque nous allons parler d'un sujet qui n'est
quasiment jamais abordé, ni dans les ouvrages scolaires, ni dans les grands
médias. Nous le ferons autour d'un livre, "L'autre esclavage : esclaves
chrétiens en terre d'Islam", publié aux éditions de Passy. Et pour en
parler, j'aurai le plaisir de recevoir son auteur, François Rebière.
François Rebière est agrégé d'Histoire, il a été enseignant en France et
directeur des activités culturelles de l'Alliance Française en Colombie. Son
livre est un ouvrage très court puisqu'il fait moins de 100 pages ; mais je
l'ai trouvé extraordinairement dense, puisqu'il arrive à faire le tour de près
de 1.200 ans, depuis les premières conquêtes de l'Islam jusqu'au colonialisme
européen au 19ème siècle, et ce pour quasiment l'ensemble du bassin
méditerranéen. Les érudits n'ont découvert que récemment ce sujet, longtemps
tabou puisque - et sa bibliographie le montre - les premiers ouvrages sur
l'esclavage en terre d'islam datent des années deux mille. Cependant, son livre
donne pour la première fois une synthèse et un nouvel éclairage. Et puis j'ai
découvert en le lisant l'ampleur effroyable de ce drame historique qui a duré
si longtemps, puisque les victimes, mortes d'épuisement, de faim, de mauvais
traitements et disparues sans descendance, se sont comptées par millions. Comme
l'écrit en conclusion François Rebière, "en pays d'Islam, il ne reste rien
de leur martyr, et surtout pas le souvenir de leur mort. Il ne faudrait pas
qu'ils meurent deux fois". Puisse cette émission aider à rendre un peu
hommage à leur souvenir.
Parmi les questions que je
poserai à François Rebière :
- Pourquoi ce manque de
curiosité des historiens européens ? Est-ce, encore et toujours la mauvaise
conscience coloniale ? Ou est-ce le fait qu'il n'y ait quasiment pas eu
d'historiens arabes à écrire sur le sujet ?
- Vous avez l'honnêteté de rappeler que
l'esclavage préexistait en Arabie, qu'il était une pratique normale dans
l'Antiquité et que, ni la Torah, ni l'Eglise des premiers siècles ne l'avait
proscrit. Que dit le Coran sur le sujet
? Est-il licite d'avoir des esclaves, ou bien est-ce que l'on ne peut asservir
que des non musulmans ? Et si un captif non musulman devient esclave, se
libère-t-il en devenant musulman ?
- Il y a quelque chose de
fascinant dans les razzias qui ont été menées, d'abord au Moyen-âge, ce qu'on a
appelé la "course" des flottes musulmanes, qui ont amené des troupes
très loin à l'intérieur des terres, jusque dans les Alpes, en Italie, en Provence
dans le massif qui a pris leur nom - "le massif des Maures" ; et puis
plus tard, à l'époque des pirates barbaresques, qui ont envoyé des bateaux très
au Nord, dans l'Atlantique : comment expliquer la faiblesse de la résistance
des Européens à cette époque ? Comment expliquer le silence des chroniqueurs de
l'époque, on se souvient de guerres, d'épidémies, mais ce fléau n'a pas
vraiment révolté les consciences ?
- Pour ce qui concerne le
nombre total approximatif de chrétiens qui ont été déportés en esclavage en
terre d'islam, vous donnez page 64 une estimation basse de 12 millions de
personnes. Comment y parvenez-vous, dans la mesure où contrairement à la traite
transatlantique des Noirs par les Européens, il n'y avait pas de cahiers de
bord associés à chaque transport, et donc on est dans l'imprécision la plus totale
? Que sont devenus ces esclaves déportés, parce que clairement ils n'ont pas
fait souche, ni au Maghreb, ni au Moyen-Orient, à quelques rares exceptions
comme des femmes dans des Harems princiers, ou quelques convertis ?
- La quasi disparition de
ces masses incroyables d'Européens esclaves, s'explique par les mauvais
traitements qu'ils ont subi et cela dès leur rapt ; vous vous referez aux
récits, exceptionnels, de la poignée de captifs qui ont pu revenir, soit en
s'échappant, soit en étant rachetés contre une rançon. A quoi étaient-ils
utilisés par leurs maitres ? Quels étaient leurs contacts avec la population ?
Comment travaillaient-ils, comment étaient-ils nourris, etc.
Un sujet vraiment original
et méconnu, qui je l'espère passionnera mes auditeurs ... rendez-vous dimanche
prochain !
J.C
J.C