Mouloud Aounit
D'abord, une remarque en introduction : cette rubrique,
par définition à tonalité grave, est consacrée en priorité sur mon blog aux
anciens invités disparus de "Rencontre". Je trouve que la liste est
déjà assez longue, en 15 ans d'émission ... Il y a peu de temps, j'évoquais la
disparition tragique de Candice Cohen-Ahnine. Avant elle, j'avais évoqué la mémoire de Jacques Hassoun, André
Chouraqui, Semih Vaner, Laurent Murawiec, Thérèse Delpech : trop de voix, déjà,
que je conserve en enregistrements et qui ne viendront plus jamais sur nos
ondes. Or, et vous l'aurez vous-même relevé en suivant leurs interviews,
c'était des personnalités avec lesquelles j'éprouvais de l'empathie même si je
n'étais pas forcément d'accord sur tout. Il n'en était pas de même pour
l'ancien Président du MRAP, Mouloud Aounit, disparu le 10 août dernier :
beaucoup de mes lecteurs se souviennent que sur quasiment tous les débats
concernant les relations entre Juifs et Arabes, il aura eu des positions à
contre-courant de celles de l'écrasante majorité de mes auditeurs. Je ne le
dissimulerai pas ici, même s'il fallait, aussi, respecter un délai de décence
pour l'évoquer après sa mort prématurée - il est décédé le 10 août dernier d'une
longue maladie à l'âge de 59 ans .
Rappelons d'abord dans quelles circonstances je l'avais
eu à mon micro. C'était en 2000, alors que nous étions encore dans l'illusion
d'une solution rapide au contentieux israélo-palestinien, suite aux accords
d'Oslo. Cette dynamique influençait toutes les institutions juives de France,
représentatives comme le CRIF ou médiatiques comme Judaïques FM, et étaient
alors reçus aussi bien le Parti Communiste Français que des organisations
proches, comme justement le MRAP, ex-"mouvement contre le racisme,
l'antisémitisme et pour la paix", devenu en 1977 "mouvement contre le
racisme et pour l'amitié entre les peuples". Notons au passage que cet
effacement de la référence à la menace antisémite, cette "dilution"
dans un message antiraciste globalisant était parfaitement en phase avec
l'idéologie du PCF, et se fit bien avant que Mouloud Aounit n'en devienne le
Secrétaire Général (1989), puis le
Président (2004). A partir de la seconde Intifada (octobre 2000), tout en
essayant de respecter une pluralité minimale dans ma série en recevant des
invités de gauche comme de droite, "colombe" ou "faucon" à
propos d'Israël, j'ai évité les émissions "guet-apens" en ne recevant
pas des personnalités avec lesquels nous nous serions fortement accrochés à
l'antenne : sous la pleine responsabilité de son Secrétaire Général, le MRAP
prit une position vigoureusement anti-israélienne dès que les violences furent
revenues, ne donnant aucun tort à la partie palestinienne, et - pire encore -
refusant de prendre en considération les agressions antisémites en France liées
à "l'importation du conflit" ; une attitude qui ne fut pas, et
c'était à leur honneur, celle des deux autres grandes organisations
antiracistes, la LICRA et SOS Racisme.
Mais revenons aux deux occasions où je reçus Mouloud
Aounit. Le 27 février 2000, ce fut l'occasion de présenter le MRAP aux
auditeurs, un an après avoir fait entendre Malek Boutih, alors à la tête de SOS
Racisme. L'émission se passa courtoisement, bien que je me souvienne avoir
soulevé la question du "compagnonnage" avec le Parti Communiste, ce
qui m'attira une réponse diplomatique - pouvait-il en être autrement ? Le 18
juin de la même année, il passa aussi dans mon émission - ainsi qu'une autre
invitée musulmane, Madame Khadija Khali -, alors que nous avions failli vivre
un épisode tragique : 13 juifs iraniens étaient incarcérés pour un prétendu
espionnage au profit d'Israël et des États-Unis. Ils encouraient la peine de
mort. Le CRIF suivit l'affaire de très près et a agi, en France, pour que ces
treize juifs puissent être sauvés. Le MRAP apporta son entier soutien dans cette démarche, et je me souviens très bien de la manifestation devant le
Palais de Justice de Paris, où Mouloud Aounit prit la parole : à l'époque, la
Gauche "extrême" avait, me semble-t-il, une position beaucoup plus
nette contre le régime des Ayatollahs que maintenant ...
Mais le MRAP des années 2000, ce fut aussi l'histoire de
grandes tensions internes puis de la mise à l'écart de son Président, accusé de
verser dans le "communautarisme musulman" en s'opposant à toutes les
lois de défense de la laïcité. Comme le disait cet article publié le 2 avril
2008 dans le journal marocain "Le courrier de l'Atlas : "l'opposition
dénonce en vrac
une direction qui "encourage la mise en concurrence des mémoires et les
replis communautaristes, enferme dans l'identité religieuse les citoyens
d'origine arabe ou maghrébine, taxe toute critique et interrogation sur les
pratiques et régimes totalitaires liées à l'islam politique comme
'islamophobes', refuse d'étudier les nouvelles manifestations de
l'antisémitisme venant d'autres mouvements que de droite ou d'extrême
droite" et, plus globalement, accuse la direction d'avoir "renoncé à
construire les positionnements du mouvement à partir des valeurs universelles
qui unissent". De fait, Mouloud Aounit fut ainsi "poussé vers la
sortie", devenant successivement membre d'une présidence collégiale
(2008-2011), puis "président d'honneur" en 2011, alors qu'il était sans
doutes déjà miné par la maladie.
Comme complément à ce
dossier, on pourra lire en lien la
lettre ouverte que lui envoya Jean Ferrat, pour protester contre sa
position lors de l'affaire des "Caricatures de Mahomet" (le MRAP
porta plainte contre "Charlie Hebdo"), ainsi que "la
pétition des rebelles" au sein de l'association, intitulée
"Mouloud Aounit doit démissionner" et signée par la Vice-Présidente, Nadia
Kurys, en mai 2007.
Jean Corcos