LE FIGARO. -
Comment 200 islamistes radicaux peuvent se réunir en si peu de temps à Paris ?
Jean-Louis
BRUGUIÈRE. - Nous
sommes confrontés à un phénomène de radicalisation qui échappe à tout modèle de
socialisation. Les organisations musulmanes elles-mêmes sont dépassées. Ce qui
m'inquiète, c'est la dilution de la menace, ce processus de protestation
publique aux limites de la violence, qui gagne une certaine jeunesse, comme si
le vivier de l'islamisme radical s'était élargi en France.
Qui l'agite
en sous-main?
Ces jeunes
ne sont pas directement manipulés comme pouvaient l'être leurs aînés impliqués
dans des dossiers judiciaires. On constate l'émergence de réseaux polymorphes,
spontanés, sans réel fondement idéologique. Un peu comme dans le dossier Merah.
Leur niveau de réflexion est très faible et leurs membres sont très réactifs
aux phénomènes extérieurs, amplifiés par Internet et les moyens modernes de
communication. Ces gens ne sont pas liés aux cellules combattantes et n'en ont
d'ailleurs pas besoin pour basculer dans l'action radicale.
Mais
al-Qaida a-t-il encore des relais en France?
Je sais
qu'une certaine école s'évertue à nous convaincre qu'al-Qaida, c'est fini, que
ce qui est important aujourd'hui, c'est la lutte contre le crime organisé. Mais
cette forme de négationnisme risque de nous coûter cher. Car le terrorisme de
demain se nourrit déjà des frustrations nées des crises arabes et de la
précarisation induite par la crise économique, sur fond de crise identitaire.
Le péril al-Qaïda est loin d'avoir disparu.
Vous
connaissez bien les Américains. Qu'ont-ils à craindre en France?
En 2001,
avec l'affaire Beghal, nous avions déjà déjoué un projet d'attaque terroriste
contre l'ambassade des États-Unis à Paris. Nous ne sommes pas à l'abri qu'un
tel scénario se reproduise. Certes, la France tient bien sa sécurité. Mais le
risque, c'est qu'une cellule ou un individu autoradicalisé visent une soft
target, dans le langage des experts, une entité qui symbolise l'Amérique, comme
un magasin, une école, une personnalité ou une enseigne célèbre, voire un
cabinet d'avocats.
Une
représentation diplomatique en province?
Il ne faut
rien négliger dans un tel contexte, d'autant que les foyers de l'islamisme
radical sont nombreux en France. Je pense notamment à Lyon, Marseille, Tours,
Orléans, Avignon et puis Lille aussi, où le GIA algérien a été très implanté,
nouant des liens avec les activistes de Belgique.
Des
manifestations viennent justement d'avoir lieu à Anvers…
Il n'y a
plus de frontières. Nous sommes dans un scénario comme au Danemark après la
publication des caricatures de Mahomet. À cette différence près qu'aujourd'hui
émergent des mouvements de rue semblables à ces manifestations ouvertes dans
les pays arabes. Or il est quasiment impossible de les réprimer juridiquement.
Pour Paris et les autres capitales concernées, c'est indéniablement un défi et
pour les islamistes, un test à grande échelle.
Le Figaro, 18 septembre 2012
Interview de Jean-Marc Leclerc