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19 septembre 2012

Bruguière : «Le vivier de l'islamisme s'est élargi»



LE FIGARO. - Comment 200 islamistes radicaux peuvent se réunir en si peu de temps à Paris ?

Jean-Louis BRUGUIÈRE. - Nous sommes confrontés à un phénomène de radicalisation qui échappe à tout modèle de socialisation. Les organisations musulmanes elles-mêmes sont dépassées. Ce qui m'inquiète, c'est la dilution de la menace, ce processus de protestation publique aux limites de la violence, qui gagne une certaine jeunesse, comme si le vivier de l'islamisme radical s'était élargi en France.

Qui l'agite en sous-main?
 
Ces jeunes ne sont pas directement manipulés comme pouvaient l'être leurs aînés impliqués dans des dossiers judiciaires. On constate l'émergence de réseaux polymorphes, spontanés, sans réel fondement idéologique. Un peu comme dans le dossier Merah. Leur niveau de réflexion est très faible et leurs membres sont très réactifs aux phénomènes extérieurs, amplifiés par Internet et les moyens modernes de communication. Ces gens ne sont pas liés aux cellules combattantes et n'en ont d'ailleurs pas besoin pour basculer dans l'action radicale.

Mais al-Qaida a-t-il encore des relais en France?
 
Je sais qu'une certaine école s'évertue à nous convaincre qu'al-Qaida, c'est fini, que ce qui est important aujourd'hui, c'est la lutte contre le crime organisé. Mais cette forme de négationnisme risque de nous coûter cher. Car le terrorisme de demain se nourrit déjà des frustrations nées des crises arabes et de la précarisation induite par la crise économique, sur fond de crise identitaire. Le péril al-Qaïda est loin d'avoir disparu.

Vous connaissez bien les Américains. Qu'ont-ils à craindre en France?
 
En 2001, avec l'affaire Beghal, nous avions déjà déjoué un projet d'attaque terroriste contre l'ambassade des États-Unis à Paris. Nous ne sommes pas à l'abri qu'un tel scénario se reproduise. Certes, la France tient bien sa sécurité. Mais le risque, c'est qu'une cellule ou un individu autoradicalisé visent une soft target, dans le langage des experts, une entité qui symbolise l'Amérique, comme un magasin, une école, une personnalité ou une enseigne célèbre, voire un cabinet d'avocats.

Une représentation diplomatique  en province?
 
Il ne faut rien négliger dans un tel contexte, d'autant que les foyers de l'islamisme radical sont nombreux en France. Je pense notamment à Lyon, Marseille, Tours, Orléans, Avignon et puis Lille aussi, où le GIA algérien a été très implanté, nouant des liens avec les activistes de Belgique.

Des manifestations viennent justement d'avoir lieu à Anvers…
 
Il n'y a plus de frontières. Nous sommes dans un scénario comme au Danemark après la publication des caricatures de Mahomet. À cette différence près qu'aujourd'hui émergent des mouvements de rue semblables à ces manifestations ouvertes dans les pays arabes. Or il est quasiment impossible de les réprimer juridiquement. Pour Paris et les autres capitales concernées, c'est indéniablement un défi et pour les islamistes, un test à grande échelle.

Le Figaro, 18 septembre 2012
Interview de Jean-Marc Leclerc