Abdelaziz Aouragh est musulman. Il vit à Amsterdam. Et il vend des articles érotiques. Sa boutique en ligne, El Asira, destinée à une clientèle musulmane, proposera prochainement des capsules Pure Power, qui “intensifient les performances, le désir et le plaisir des hommes”. Mais aussi des capsules destinées aux femmes, des stimulateurs des sens pour lui et pour elle, et des lubrifiants à base de beurre de cacao, d’eau ou de silicone. El Asira se veut “la première boutique en ligne musulmane à vendre des articles érotiques et des produits de soins”.
Combiner islam et produits érotiques n’est pas une évidence. Quand l’associé d’Abdelaziz Aouragh, Stefan Delsink, lui a suggéré de créer un sex-shop, il n’était guère convaincu. Mais dès le lendemain, il a changé d’avis : “Je sais que les musulmans ont besoin de ce type d’articles. Des gens en rapportent du Moyen-Orient pour les offrir à des jeunes couples.” Ne sachant pas si sa religion permettait ce genre de commerce, Abdelaziz Aouragh s’est tourné vers un imam, qui s’est à son tour adressé à un cheik saoudien. Verdict : l’islam autorise ce type d’activité, tant que les produits sont halal et qu’ils sont destinés à améliorer les relations sexuelles du couple marié. “Il existe même une fatwa à ce propos.”
Abdelaziz Aouragh, 29 ans, est un musulman orthodoxe doté du sens des affaires néerlandais. Outre l’aspect financier, le jeune entrepreneur aimerait que son sex-shop change l’image de l’islam hostile aux femmes. “L’image de la femme soumise, dans la cuisine, habillée en burqa, est fausse. Il y a beaucoup d’amour. L’islam a beaucoup de respect pour les femmes. Notre boutique place la femme au centre des choses.” El Asira offre également des informations et des réponses aux questions que les gens se posent sur la sexualité. L’imam qui a conseillé Abdelaziz Aouragh s’appelle Boularia Houari. Spécialiste des câbles en fibre optique, il enseigne le Coran et prêche dans diverses mosquées. Il raconte qu’il donne des conseils en matière de sexualité à de nombreux couples mariés. “Les gens ont peur du Viagra ; c’est un médicament. L’islam privilégie les herbes médicinales. De l’huile de graine de pavot, du miel pur. Les religieux aussi les recommandent.” Le sexe selon l’islam est simple : en dehors du mariage, il est interdit ; dans le mariage, il est encouragé. Et les préservatifs ? Abdelaziz Aouragh et l’imam s’entretiennent en arabe. “Oui, les préservatifs sont acceptés. La pilule contraceptive aussi, même s’il est mieux de ne pas l’utiliser, car elle continue à agir sur certaines femmes lorsqu’elles ne la prennent plus.”
Pour répondre à une autre question de M. Aouragh, l’imam explique que le coït interrompu est permis, mais que les préservatifs devraient être privilégiés. “Un préservatif assure plus de plaisir parce que le pénis n’est pas retiré au moment de l’orgasme. Dans l’islam, c’est important que l’homme et la femme aient un orgasme. Si la femme n’est pas satisfaite, elle aura recours à des méthodes impures comme la masturbation ou les vibromasseurs.” Stefan Delsink, 29 ans, a conçu le site Internet d’El Asira, qui signifie quelque chose comme “société”, “tribu” ou “village”. D’origine néerlandaise et surinamaise, Stefan Delsink travaille dans un foyer d’accueil et dirige une agence de graphisme avec son frère. Abdelaziz Aouragh explique que son partenaire respecte l’islam. “Avant de faire quelque chose, il demande si c’est autorisé. Par exemple, il n’y a pas d’image d’homme ou de femme sur le site. Car ce n’est pas permis.” “Je les supprime. J’ai dû construire un site érotique au style unique. Essayez un peu sans images !” lance Stefan Delsink.
Ni lui ni Abdelaziz Aouragh ne s’y connaissaient en articles de sex-shop. Abdelaziz Aouragh a passé le Net au crible, à la recherche de produits halal sans graisses animales. Il a d’abord eu des contacts avec un Néerlandais, mais les choses sont tombées à l’eau. “Ses articles contenaient des produits chimiques et il y avait des photos d’actes répréhensibles sur les emballages”, explique-t-il.
Les produits en vente sur El Asira sont halal. Mais si une personne célibataire achète des capsules Pure Power ? Ou si un couple utilise le lubrifiant d’une manière proscrite par l’islam, par exemple pour des rapports pendant les menstruations ? “C’est ce que j’ai demandé à l’imam, raconte Abdelaziz Aouragh. Il m’a dit d’oublier ces questions. Qu’elles n’engageaient pas ma responsabilité. Les gens seront punis de leurs péchés après leur mort.”
"Courrier International"
le 25 mars 2010
Source: NRC Handelsblad, Rotterdam