Amr Moussa, candidat à l'élection présidentielle
Le plus
peuplé des pays du Moyen-Orient choisira son futur président les 23 et 24 mai.
Pour les Égyptiens, il s'agit d'une grande première.
Pour la
première fois de leur vie, les Égyptiens vivent une élection présidentielle
démocratique. La campagne menée par les 13 candidats retenus est pour eux un
sujet d'étonnement quotidien. Il ne s'agit pas simplement d'affiches collées
sur les murs ou de slogans, chacun a son style, ou plutôt sa façon d'attirer
les électeurs.
Cette course
à la présidence a eu un temps fort, absolument inédit. Le jeudi 10 mai, des millions de
téléspectateurs ont vu les deux favoris, Amr Moussa et Abdel-Moneim
Aboul-Foutouh, s'attaquer sans retenue sur le petit écran. Moussa a
été pendant dix ans le ministre des Affaires étrangères de Moubarak, puis il a
été de 2001 à 2011 le patron de la Ligue arabe. Aboul-Foutouh est un islamiste
modéré, un ancien pilier de la confrérie dont il a été chassé pour avoir décidé
de briguer la première magistrature de l'État en juillet 2011. À l'époque, les
Frères (al-Ikhwane) avaient promis de ne pas participer à la première
présidentielle.
Le passé de
chaque candidat a servi de cible à l'autre. "Comment un homme qui a
travaillé pendant dix ans avec Moubarak peut-il prétendre reconstruire l'Égypte
?" a accusé Aboul-Foutouh. L'ancien ministre a rétorqué qu'il n'approuvait
pas tous les actes du régime, et qu'il a été expulsé. Avant de lancer :
"Vous avez fait de la prison, mais c'était pour défendre l'idéologie de la
confrérie, et non pour la cause de la nation."
Du jamais-vu dans le monde arabe
Depuis la
fin de la monarchie, en 1952, l'élection présidentielle obéissait à un scénario
bien rodé. Le Parlement choisissait le futur président, et le peuple
l'approuvait par référendum. Les bureaux de vote ont souvent été déserts, mais
qu'importe puisque le résultat n'en tient pas compte : 95 à 97 % des électeurs
plébiscitaient le choix du Parlement. En 2005, pour la première fois,
l'élection fut plus ouverte, mais il s'agissait d'une fiction, les règles
électorales faisant en sorte que seul le président Moubarak, ou un membre du
parti au pouvoir, puisse être élu.
D'où,
actuellement, une certaine méfiance du simple citoyen même si le Conseil
supérieur des forces armées ne cesse de répéter qu'il remettra le pouvoir entre
les mains du nouvel élu.
Pour assurer
la transparence de ce scrutin inédit, les 23 et 24 mai, 14 000 juges
superviseront les votes à travers le pays. Le recours au pouvoir judiciaire,
qui s'est toujours montré irréprochable, devrait apaiser les craintes.
Enthousiasme
Mais une
autre question se pose, non moins redoutable : quelles seront les prérogatives
du chef de l'État puisque la nouvelle Constitution n'a pas encore été rédigée,
pire, que le Parlement n'a toujours pas établi la composition de l'Assemblée
constituante. Elle devrait voir le jour dans les prochains jours, mais n'aura
pas le temps d'élaborer son projet. Officiellement, le président jouira soit
des prérogatives accordées dans la Constitution de 1971, soit de celles
définies dans la Constitution transitoire du 30 mars 2011 enrichie d'un
addendum.
Ce climat
d'incertitude n'entame pas l'enthousiasme des candidats en campagne. Depuis une
vingtaine de jours, ils parcourent les divers gouvernorats, et exposent leur
programme devant des milliers de sympathisants. Pourtant, les propositions
n'offrent pas une grande diversité. Les plaies de l'Égypte sont connues : la
misère (40 % des Égyptiens sont au seuil de la pauvreté), le chômage, la
corruption. Les remèdes aussi : établir une économie libre, la justice sociale,
promouvoir l'enseignement et la santé...
Clivages
Les
libéraux, les laïcs, une bonne partie des Coptes et de la bourgeoisie
soutiennent Amr Moussa. Aboul-Foutouh, héros des jeunes
Frères musulmans, peut désormais compter sur les salafistes. Mais l'appui des
islamistes radicaux inquiète les Coptes qui se sentaient proches de ce candidat
modéré. Du côté des "petits candidats", Mohamed Morsi est puissamment
aidé par la confrérie, qui affirme dans ses prêches que "voter pour Morsi,
c'est plaire à Dieu". Ahmed Chafic est l'espoir des partisans de
l'ancien régime, et l'armée, malgré son silence, ne saurait lui être
défavorable.
Il est
impossible de prédire le nom du futur président. D'autant plus qu'à une semaine
du scrutin environ 40 % des électeurs affirment n'avoir pas encore fait leur
choix. Il est également impossible de prévoir la façon dont le pouvoir
militaire va préserver ses privilèges et son statut privilégié.
Denise
Ammoun,
Le Point, 18
mai 2012