Une dizaine de jours après le départ du précédent
locataire de l'Elysée, il me semble que le délai de convenance est passé pour
vous faire part, de la manière la plus synthétique et dépassionnée possible, du
bilan que l'on pourrait faire de sa présidence - en se limitant bien sûr, au
titre en objet !
Commençons par enfoncer une porte ouverte : le Chef de
l'Etat d'une République laïque ne doit pas être jugé au regard unique de ses
sympathies ou antipathies, réelles ou supposées, vis à vis de minorités, conséquente comme celle des Musulmans de France - deuxième religion du pays - ou supposée
à tort influente, comme celle des Juifs. Et
pourtant, tous nos concitoyens, catholiques pratiquants y compris, ont été
influencés par leur appartenance religieuse pour autant qu'elle importait pour
eux : cet
article du journal "La Croix", publié avant le premier tour,
révélait déjà ce que l'analyse du vote réel allait amplement confirmer, un vote
majoritaire pour Nicolas Sarkozy chez les Juifs, et un support massif à
François Hollande côté musulman ... Sans faire de savants calculs statistiques,
il suffisait pour un observateur de "terrain" comme je le suis, ayant
un réseau de plusieurs centaines d'ami(e)s juifs et musulmans, de lire ce que
les uns ou les autres publiaient sur leurs pages FaceBook : les premiers
n'hésitaient pas, souvent, à agiter le chiffon rouge comme si le retour de la
Gauche aux affaires allait être un désastre absolu, certains parlant même
d'Alya forcée ; les seconds abreuvaient Sarkozy d'injures, l'accablant des
sobriquets l'ayant escorté pendant tout son mandat ("le nabot",
"le facho"), et le présentant comme une espèce de clone du Front
National à éliminer d'urgence !
Méritait-il, vraiment, un tel acharnement ou - en creux,
pour ceux qui redoutaient une défaite pourtant largement annoncée - de tels
éloges ? La vérité est, comme toujours, moins manichéenne que les uns et les
autres voulaient bien le penser. Parlons clair et direct.
1) La majorité des Juifs, traumatisés par les agressions
antisémites de la dernière décennie, ont dans leur mémoire le laxisme des
années Jospin au début de la seconde Intifada, et l'action de l'ancien Ministre
de l'Intérieur au retour de la Droite aux affaires. Force est de constater que
l'antisémitisme n'a pas reculé depuis, et qu'il s'est même développé dans des
domaines difficilement maîtrisables, comme la haine sur l'Internet. Tous les
grands partis démocratiques, Parti Socialiste compris, sont aujourd'hui conscients
du fléau, et savent la part menaçante de l'islam radical dans sa propagation
... les procès d'intention sont donc mal venus. Reste - et là je rejoins la
position du Président du CRIF, attaqué suite à une interview dans le journal
"Haaretz" et sur lequel il a publié une mise au point (lire
ici) - que si François Hollande ne doit pas faire l'objet de procès d'intention en la matière, les antisionistes radicaux, dont la propagande alimente l'antisémitisme, se trouvent maintenant dans le camp des vainqueurs du 6 mai ... et que cela n'est pas réjouissant.
2) La majorité des Juifs, également, redoutent ce qui
apparait de manière objective comme une modification démographique en
profondeur du pays - et beaucoup, vivant par exemple dans certains départements
de l'Ile de France, appliquent un "effet loupe" à l'évolution réelle
du pays, reprenant à leur compte les fantasmes sur "l'islamisation de la
France", rhétorique hélas devenue dominante ... au Front National ! A cet
égard, Sarkozy leur apparaissait comme un rempart, un "verrou" contre
une immigration mal maitrisée ( environ 200.000 "réguliers" par an
actuellement, dont une majorité du fait du "regroupement familial").
Qu'en sera-t-il avec François Hollande ? La Gauche de gouvernement s'annonce
moins angélique que par le passé, avec deux engagements, celui de ne pas
régulariser en masse les "sans papiers" et celui de maîtriser
l'immigration : l'avenir nous dira ce que seront les actes au delà des
promesses, mais les caricatures infâmes qui ont circulé et faisant du P.S le
valet de l'islam radical, sont au mieux de la manipulation - et le candidat UMP
en a usé largement, suivant la fameuse "ligne Buisson" dont on a
largement parlé ! -, au pire un délire profond.
3) Mais justement, sur ce sujet de l'immigration, on peut
dire que le discours de l'ancien Président a été plus que maladroit. Au lieu de
braquer tous les projecteurs sur l'islam de France, au lieu de poser la
question en termes identitaires, il aurait pu et du le centrer sur l'économie,
et proposer au pays les décisions qu'imposent une situation économique et
financière plus que critique : pour dire les choses brutalement, la France n'a
plus les moyens "d'importer en masse de la pauvreté" et des
travailleurs non qualifiés. Au lieu d'insulter une partie de la population, de
la stigmatiser en associant l'immigration à des escroqueries aux aides
sociales, il lui suffisait de tenir un discours ferme mais sans connotations
racistes. Le résultat est venu comme un boomerang, avec plus de 90 % des Musulmans qui ont voté pour la Gauche - et des électeurs centristes
effrayés vers la fin par la "droitisation" de sa campagne. D'où le
désastre, au moins médiatique, du drapeau tricolore associé au camp vaincu ... et des
drapeaux arabes brandis place de la Bastille, le 6 mai au soir.
4) Reste, aussi, que sa "politique musulmane"
ne méritait ni un excès de louanges, ni un excès d'indignité. J'ai essayé de
vous en rendre compte, ces dernières années, et vous retrouverez mes articles
sous le libellé "Sarkozy et l'islam". Des erreurs il y en eut, comme
l'espoir d'amadouer l'UOIF au moment de la création du CFCM, ou les éloges
indécents faits à l'Arabie Saoudite lors d'un voyage officiel ; il y eut aussi
- mais on en a parlé à mon micro dernièrement avec mon invité, Farid Hannache
-, le poids exorbitant pris au cours de son mandat par l'Emirat du Qatar, base
arrière des Frères Musulmans, devenu le grand allié régional de la France. Mais
des gestes clairs et courageux, il y en a eu aussi, comme la loi interdisant le
port de la Burqa en public, ou le refus de délivrer un visa au prêcheur de
haine Youssouf al-Qaradawi, à quelques semaines des élections : on ne peut
qu'espérer un courage analogue aux Socialistes, dont les alliés - Ecologistes
comme Front de Gauche - sont plus que douteux en la matière.
5) Reste aussi, et enfin, le mauvais procès en racisme
qu'on lui a fait : Nicolas Sarkozy, comme l'UMP, ont refusé toute alliance avec
le Front National, largement responsable de leur défaite ; et c'est sous son
mandat que l'on vit, enfin, des ministres musulmans à des postes de
responsabilité comme Rachida Dati et Fadela Amara : en cliquant sur leur nom en
libellé, on relira mes articles publiés à l'époque.
On remarquera, pour terminer, que je n'ai évoqué ni
Israël, ni la "politique arabe de la France", faisons-le donc
maintenant. Pour parler vite, je pense que la diplomatie française pèse de
moins en moins dans la région, à l'image de la chute d'influence de l'Europe
dans le Monde. Cette diplomatie a continué de suivre certains
"fondamentaux" qui bougent peu sur le fond, depuis des décennies.
Reste, cependant, une attitude certainement beaucoup plus chaleureuse du
Président sortant vis à vis de l'état juif, en comparaison de celles de ses
prédécesseurs ; et, pour parler toujours clairement et directement, un risque
d'évolution négative en la matière, risque qui sera d'autant plus lourd que le
Parti Socialiste aura besoin de ses alliés verts et du Front de Gauche, pour
avoir la majorité à l'Assemblée Nationale ...
Jean Corcos
Jean Corcos