Jean-Sylvestre
Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More, think tank libéral basé
à Bruxelles, estime que le retrait des forces de l’OTAN et le transfert du
pouvoir aux forces afghanes doivent s’accompagner d’un appui ciblé des Alliés
dans des opérations antiterroristes. Cette question sera cruciale au sommet de
Chicago les 20 et 21 mai prochain, alors que François Hollande a d’ores et déjà
prévenu qu’il désengagerait totalement la France d’ici à la fin de l’année
La sortie des troupes de l’OTAN
depuis le théâtre afghan et le passage de relais à Kaboul seront les questions
les plus pressantes du sommet de Chicago [20 et 21 mai prochain]. La ligne
directrice est de conduire un repli en bon ordre et de soutenir le pouvoir
central afghan dans sa mission de contrôle du territoire. De fait, la situation
en Afghanistan recèle des enjeux multiformes et le désintérêt serait lourd de
conséquences.
Il faut de prime abord rappeler que
l’engagement occidental en Afghanistan, suite aux attentats du
11 septembre 2001, s’est fait avec l’accord de l’ONU et dans le cadre du
droit international. Après que les Talibans et Al-Qaida ont été dispersés, la
«Communauté internationale» s’est engagée dans une entreprise d’ingénierie
sociopolitique qui a buté sur les tourments géopolitiques de la Haute-Asie.
En 2009, le «surge» [l’accroissement
massif des effectifs militaires] de l’administration du président Barack Obama est
fondé sur la question des moyens civilo-militaires, la mobilisation des
premières années étant jugée insuffisante. On peut aussi penser que les
théories artificialistes de la postmodernité – l’idée que les identités ne
seraient que superficielles et conventionnelles – ont prédisposé à la
définition d’objectifs trop ambitieux. Une fois la guerre engagée en Irak, il
était peut-être plus rationnel d’accorder la priorité à ce théâtre stratégique
et de limiter ses objectifs en Afghanistan.
Les renforts ayant permis de
contenir les offensives talibanes dans les régions afghanes les plus exposées,
les difficultés s’étalant au plan géographique par ailleurs, le principe d’un
retrait des troupes de l’OTAN à l’horizon 2014 a été arrêté lors du sommet de
Lisbonne (2010). Formées et appuyées par les Alliés, les forces de sécurité
afghanes sont appelées à prendre le relais. Le sommet de Chicago affinera le
calendrier, statuera sur le niveau des forces afghanes et sur la répartition du
financement entre alliés, coalisés et partenaires.
Précisons qu’il ne s’agit pas de se
détourner de l’Afghanistan, ce qui réitérerait les erreurs de l’immédiat
après-Guerre froide. Les Alliés ont en fait redéfini dans un sens plus
restreint l’«état final recherché», c’est-à-dire le but de guerre. L’idée est
de consolider un pouvoir central afghan à même de contrôler le territoire et de
contenir le désordre des zones afghano-pakistanaises, pour empêcher la
reconstitution d’un émirat islamique fonctionnant comme centre nerveux du
terrorisme planétaire.
Ce faisant, l’OTAN bascule de la
contre-insurrection au contre-terrorisme, à savoir une «guerre au scalpel»
menée au moyen de drones, de forces spéciales et de troupes locales soutenues
par les puissances occidentales. Les objectifs sont mieux circonscrits et ils
semblent à portée, pour autant que les calculs domestiques et le «chacun pour
soi» ne transforment pas ce redéploiement en fuite honteuse. Si tel était le
cas, les contrecoups se ressentiraient dans l’ensemble du Grand Moyen-Orient et
ils amplifieraient les logiques d’anomie à l’œuvre dans l’espace
sahélo-saharien. Aussi les Etats-Unis et l’OTAN négocient-ils avec Kaboul des
«partenariats stratégiques» visant à prolonger l’effort après 2014.
Un soutien inscrit dans la durée est
d’autant plus nécessaire que l’Afghanistan n’est pas un lointain bout du monde
au milieu de nulle part, mais un territoire à la croisée du Moyen-Orient, de
l’Asie centrale et de l’Asie du Sud. D’importantes problématiques géopolitiques
– l’islamo-terrorisme, la prolifération et le désenclavement de l’Asie centrale
– s’y recoupent.
Le conflit larvé que New Delhi et
Islamabad se livrent sur place est connu. Sur les frontières nord-orientales de
l’Afghanistan, la Chine doit être prise en compte. Hostile à l’Inde, elle est
l’alliée du Pakistan. Aux frontières occidentales, l’Iran chiite soutient aussi
certains groupes et chefs de guerre sunnites pourvu qu’ils s’attaquent à
l’OTAN. Enfin, l’Afghanistan est une aire de passage vers l’Asie centrale et la
Caspienne que la Russie s’efforce de maintenir dans l’«étranger proche». Moscou
veut interdire aux Occidentaux le plein accès à ces espaces.
En Europe comme en Amérique du Nord,
la circulation des cartes de la puissance semble justifier chez certains un
intérêt moindre. Le fait est qu’il faudra raccourcir les lignes d’engagement
pour mieux déterminer les points d’application de la «grande stratégie»
occidentale et ne pas se laisser prendre au piège de l’hyperextension
impériale. Cela dit, l’Afghanistan et son environnement ont trop d’importance
pour être négligés: la guerre par procuration et le contre-terrorisme ouvrent
donc une voie médiane.
Au vrai, le défi afghan met surtout
en lumière les failles des sociétés européennes. Ce conflit de faible intensité
ne requiert qu’un engagement limité mais les Etats providence ont dévoré les
budgets militaires. Plus encore, on constate les effets d’une grande fatigue
morale, avec le repli géographique sur l’Europe en guise de panacée. Une
illusion de plus en ce nouvel âge global.
Jean-Sylvestre Mongrenier ,
Le Temps (Genève), Opinions,
Le 18 mai 2012