Editorial du « Monde ».
Si les pays asiatiques avaient réussi à maîtriser rapidement la circulation du virus dans un premier temps, le retour à un fonctionnement normal des Etats dépend en grande partie du taux de vaccination. Domaine où l’Asie-Pacifique est très en retard.
Lorsque, au printemps 2020, l’Europe, dépassée et désarmée, s’est retrouvée l’épicentre de la pandémie de Covid-19, l’Asie a fourni un spectaculaire contre-exemple. Au-delà de la Chine, dont la gestion autoritaire de la crise sanitaire ne pouvait être imitée en Occident, les démocraties asiatiques ont réussi à maîtriser rapidement la circulation du virus, grâce à l’expérience des maladies infectieuses respiratoires acquise lors de l’épidémie de SRAS, au début des années 2000, grâce aussi à la discipline des populations et à leur familiarité avec les nouvelles technologies.
Un peu plus d’un an plus tard, la situation est très différente. Si la pandémie reflue nettement en Europe et en Amérique du Nord, elle vient de connaître une flambée dévastatrice en Inde, et plusieurs pays d’Asie du Sud-Est subissent un rebond épidémique, même ceux qui, comme Taïwan ou Singapour, paraissaient totalement sortis d’affaire.
Une évidence s’est imposée au monde entier : la sortie de la crise et le retour à un fonctionnement normal des Etats, des sociétés et des économies dépendent en grande partie du taux de vaccination. Or, sur ce sujet, l’Asie-Pacifique est très en retard sur l’Europe et l’Amérique du Nord, pour plusieurs raisons, mais dont la principale est que, estimant le danger de contamination maîtrisé, les Asiatiques ne jugent pas utile de se faire vacciner.
Menace des nouveaux variants
Plusieurs gouvernements ont négligé de commander des doses à temps et doivent à présent attendre les livraisons par l’intermédiaire du mécanisme Covax, parrainé par l’ONU. L’Inde a dû cesser d’exporter sa production pour faire face à sa propre crise. Quant à la Chine, elle produit des vaccins, mais en réserve la moitié à l’exportation, dans le cadre de sa diplomatie vaccinale.
Cette disparité retarde le retour à un niveau normal de circulation des personnes entre pays et freine du même coup la reprise de l’activité économique. Face à la menace constante de nouveaux variants, comme celui qui est apparu en Inde, les pays libérés de la pandémie mais sans stratégie vaccinale efficace sont condamnés à prolonger leur fermeture.
L’Australie fournit un exemple frappant de ce paradoxe, qui montre les limites de la stratégie zéro Covid. Mettant à profit l’avantage de sa situation insulaire, elle a très tôt fermé ses frontières et imposé une politique draconienne de quarantaine, ainsi qu’un système de confinements localisés immédiats dès qu’apparaissaient de nouveaux cas. Cette politique, très soutenue dans l’opinion, s’est révélée hautement efficace, avec un taux de contamination aujourd’hui proche de zéro et une population qui mène une vie quasiment normale.
Victime de son succès
L’envers de la médaille est que, pour empêcher l’arrivée de nouveaux variants, le pays doit rester clos. Canberra vient d’annoncer que les frontières australiennes resteront fermées jusqu’à mi-2022 : cela fera deux ans d’isolement forcé, avec tout l’impact que ces mesures peuvent avoir sur les familles séparées, l’économie, l’immigration. La menace de poursuites pénales vis-à-vis des ressortissants australiens d’origine indienne partis en Inde et qui tenteraient de rentrer a paru extrême à beaucoup.
Au moment où une bonne partie du monde recommence à vivre, se déconfine et rouvre progressivement ses frontières, l’Asie est, en quelque sorte, victime de son succès. Il est dans l’intérêt de tous à présent qu’elle monte en puissance sur la production et l’administration de vaccins avec l’efficacité dont elle a fait preuve dans la gestion de la crise sanitaire.
Le Monde, 29 mai 2021