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03 juin 2021

A Kiribati, la Chine pose un pied au beau milieu du Pacifique

 


Le président kiribatien, Taneti Maamau, et son épouse Teiraeng Tentoa Maamau, rencontrent le président chinois Xi Jinping et son épouse Peng Liyuan,

Cherchant des points d’appui sur toute la surface du globe, Pékin devrait réhabiliter une ancienne piste de l’armée américaine sur l’île de Kanton.

Perdu dans l’immensité du Pacifique Sud, l’endroit est stratégique car situé à mi-chemin entre Hawaï et l’Australie. L’atoll de Kanton est bien connu des militaires de l’armée de l’air américaine, qui l’ont occupé en 1942 et 1943 pour aller frapper les Japonais sur les îles environnantes. Il devrait bientôt devenir une base chinoise, a révélé l’agence Reuters le 5 mai.

Cet îlot quasi inhabité et sans eau douce appartient au petit Etat de Kiribati (120 000 habitants). Il fait partie d’une zone protégée depuis 2006. Mais le projet chinois consisterait à y construire des installations et à réhabiliter sa précieuse piste d’atterrissage de 2 km. Celle-ci avait été bâtie par la Pan American pour les besoins en ravitaillement de ses longs courriers et a été abandonnée dans les années 1960 quand les avions civils ont acquis plus d’autonomie en carburant. Ni Reuters ni Le Monde n’ont pu obtenir de confirmation officielle des autorités de Kiribati.

Dans une région du globe marquée par l’empreinte américaine, l’affaire résonne, car elle s’inscrit dans la campagne d’influence engagée par Pékin auprès des Etats du Pacifique, à coups d’investissements et de crédits.

Installations à vocation commerciale et militaire

Parmi les projets chinois en cours à Kiribati figure aussi celui d’un terminal portuaire pour conteneurs. Fort d’une vaste zone économique exclusive, de ressources marines importantes, Kiribati s’est tourné vers la Chine fin 2019 en s’inscrivant dans le projet des « nouvelles routes de la soie » du président Xi Jinping alors qu’il affichait jusqu’alors son soutien à Taïwan – les îles Salomon ont fait de même. Dans l’Etat de Vanuatu, plus au sud, la construction d’un quai capable d’accueillir des navires militaires chinois fait débat, et reste en suspens.

D’autres Etats archipélagiques du Pacifique conservent pour l’heure des relations diplomatiques et économiques privilégiées avec Taïwan : les îles Marshall, Tuvalu, Nauru, Palau. Elu face à un candidat pro-Pékin, Surangel Whipps, le président de Palau, déclarait début avril que s’il ne devait rester qu’un soutien à Taipei, « nous serions celui-ci, car Taïwan est à nos côtés depuis le début ». M. Whipps a appelé les Etats-Unis à installer une base militaire dans son pays.

Au service de son autonomie économique, la Chine a acheté partiellement ou en totalité des dizaines de ports ou bases côtières dans le monde depuis la fin des années 1990. L’Asie du Sud-Est est sa priorité – avec les ports de Gwadar au Pakistan, Hambantota au Sri Lanka, Kyaukpyu en Birmanie, ou Tanjung Priok en Indonésie. Le Pacifique relève d’une vision à plus long terme. Mais les avancées chinoises y suscitent déjà des inquiétudes, d’autant que ces installations ont une vocation duale, commerciale et militaire – cette dernière dimension n’étant pas reconnue par Pékin. « La vision est d’abord économique », mais la construction à marche forcée d’une marine de guerre par la Chine « vise à protéger le développement et les intérêts globaux du pays », rappelle Hugues Eudeline, ancien officier français spécialiste de la marine chinoise. Celle-ci « mise sur des navires de grande taille, qu’il s’agisse des porte-avions ou des navires de débarquement, et elle requiert des escales et des points d’appui logistique ».

« La Chine a besoin de parkings pour ses avions »

Le général Stephen Townsend, commandant américain pour l’Afrique, s’est inquiété le 22 avril devant le Sénat des derniers aménagements du port chinois de Djibouti : « Ils ont achevé une très grande jetée qui jouxte leur base et qui a la capacité de faire accoster les plus grands navires, y compris le porte-avions chinois et les sous-marins nucléaires. » Ce qui préfigure, selon lui, une présence navale militaire accrue.

« La Chine a aussi besoin, partout, de parkings pour ses avions », souligne M. Eudeline. A côté des ports, des bases telle que Kanton à Kiribati permettront de poser des appareils, civils ou militaires. « L’Indopacifique n’est pas qu’un sujet pour les marines, les armées de l’air sont aussi concernées au premier chef », confirmait une source française récemment, en illustrant ces enjeux par le fait que des Rafale allaient, en juin, relier Tahiti et Hawaï directement depuis la métropole.

La pression du développement chinois s’exerce ainsi avec des conséquences géopolitiques en cascade. Sur tout le pourtour du continent africain, Pékin a investi dans une quinzaine d’infrastructures portuaires depuis dix ans. En Méditerranée, ce sont désormais ses projets pour le port en eaux profondes d’El Hamdania, dans la région de Cherchell, en Algérie, qui inquiètent les stratèges occidentaux.

Sur la façade atlantique, le port de Sines au Portugal, qui cherchait des investisseurs étrangers pour se développer, vient d’annoncer qu’il devait relancer son appel d’offres. La crise due au Covid-19 expliquerait cet échec, mais aussi de fortes pressions américaines. Une base chinoise sur la façade atlantique serait un « développement qui susciterait beaucoup de préoccupations. Nous devons expliquer à nos partenaires que nous ne voulons pas faire de l’Atlantique une zone de confrontation géopolitique », a indiqué le ministre portugais de la défense Joao Gomes Cravinho, le 4 mai, dans un séminaire organisé par le German Marshall Fund (GMF), un groupe de réflexion transatlantique.

Nathalie Guibert,

Le Monde, 6 mai 2020