Le
réalisateur libanais a adapté à l'écran L'Attentat de Yasmina Khadra.
Comme il a été tourné en partie en Israël, il est accusé d'avoir trahi la cause
palestinienne.
À sa
parution, en 2005, le roman de Yasmina Khadra, L'Attentat (Julliard),
avait fait l'effet d'une bombe, sans mauvais jeu de mots. L'écrivain algérien
se glissait dans la peau d'un chirurgien arabe israélien découvrant que son
épouse avait commis un attentat suicide. Sept ans plus tard, le réalisateur
libanais Ziad Doueïri (West Beyrouth, Lila dit ça) s'empare
habilement de cette tragédie pleine de bruit et de stupeur. Le mari incrédule
prend le visage du remarquable acteur Ali Suliman, tout en douleur retenue.
Subtil et ambigu, ce film a été interdit de diffusion dans les 22 pays de
la Ligue arabe. La raison: le cinéaste a tourné plusieurs scènes en Israël, ce
que proscrit le Bureau de boycottage de ce pays.
LE FIGARO. -
Comment réagissez-vous à l'interdiction de votre film dans certains pays
arabes à commencer par le vôtre, le Liban?
Ziad
DOUEIRI. - Je me sens
trahi. Je pense avoir réussi un bon film pour lequel j'ai d'ailleurs obtenu
sept récompenses internationales. Et comment réagissent les Arabes? En me
boycottant. Quel est donc mon crime? J'ai tourné une partie de L'Attentat
en Israël. Or une loi libanaise de 1955 interdit à ses citoyens de mettre les
pieds en Israël. Pour les autorités, j'ai violé cette loi. Si elles pensent
qu'elles vont faire avancer la cause palestinienne en décrétant une bêtise
pareille, elles se trompent lourdement. Beaucoup de dirigeants arabes sont en
retard sur la réalité. Savent-ils qu'en Israël la moitié des pharmacies sont
tenues par des Arabes? J'ai tourné mon film avec des acteurs israéliens et
arabes dans une excellente atmosphère. Mon acteur principal est arabe et la
moitié de mon équipe l'est aussi. Aurais-je dû exclure les acteurs israéliens
pour plaire à une politique absurde et suicidaire?
Certains
vous reprochent de «trahir la cause» palestinienne… Comment échapper au
manichéisme?
J'ai vécu le
massacre de Sabra et Chatila en 1982 et la guerre à Beyrouth en 2006. Je sais
par conséquent le prix payé par les Arabes et la souffrance qu'ils endurent. Et
je n'ai pas retourné ma veste. Mais j'en ai assez de ce terrorisme intellectuel
qui veut m'obliger à montrer l'Israélien sous les traits de Dark Vador et le
Palestinien en Bisounours. Il n'y a pas d'un côté le vilain absolu et de
l'autre la victime. Le rôle d'un réalisateur, c'est de poser des questions, de
soulever la pierre et de l'examiner. Le monde arabe a besoin de faire son
autocritique. La critique la plus féroce de la politique israélienne, c'est en
Israël qu'on l'entend.
Pourquoi
avoir adapté le roman de Yasmina Khadra?
Une société
de production américaine m'a contacté en me racontant l'histoire. J'en avais
assez du Moyen-Orient. Mais le livre de Yasmina Khadra m'a bluffé. Le
producteur souhaitait Tom Hanks pour le rôle du chirurgien arabe israélien et voulait
que je tourne en anglais. Le projet n'a pas abouti. Puis Rachid Bouchareb m'a
dit qu'il voulait lui aussi produire ce film. Nous avons négocié pendant trois
ans pour récupérer les droits. Il nous en a fallu deux autres pour trouver le
financement. La plupart des fonds proviennent du Qatar. Une productrice
égyptienne a également investi de l'argent.
Comment les
producteurs du Qatar ont-ils réagi à la polémique visant votre film?
Lorsqu'ils
l'ont vu au Festival de Toronto, bien avant que n'éclate cette affaire, ils
m'ont demandé de retirer leur nom du générique.
Outre le
roman de Yasmina Khadra, vous êtes-vous appuyé sur des témoignages pour
réaliser ce film?
J'ai
rencontré un médecin arabe en Israël et je me suis beaucoup documenté sur les
femmes kamikazes. Qu'est-ce qui se passe dans leur tête avant de commettre un
tel acte? Parmi celles qui ont échoué dans leur macabre dessein et ont été
interrogées, beaucoup ont admis qu'elles avaient d'autres raisons que la
politique ou la religion. Certaines d'entre elles étaient stériles ou
stigmatisées par leur entourage.
Le Figaro, le 28 mai 2013