La nomination de Jack Lang à la tête de l’Institut du
monde arabe pose, outre le copinage dont il est suspect, la question même de la
raison d’être de cet Institut, alors-même que l’islam en France pose de plus en
plus question.
Depuis son inauguration par François Mitterrand, l’Institut
du monde arabe (IMA) n’a cessé de susciter des interrogations sur son
financement et sur sa gouvernance. Ces difficultés internes, malgré la qualité
de la programmation, l’ont emporté sur le débat relatif au contenu de la
politique culturelle de cet établissement, qui devrait compter parmi les
fleurons du réseau des grands établissements français œuvrant dans le domaine
de la culture.
Un nouveau
paysage culturel
La nécessité de revoir la stratégie de l’IMA est
renforcée par les évolutions du paysage culturel parisien et national. Le département des Arts de l’Islam du Louvre,
ouvert en 2012, devient de facto le lieu de présentation des œuvres
d’art du monde islamique, compris dans sa dimension artistique culturelle. L’Institut des cultures de l’Islam
(ICI), créé par la ville de Paris, « est dédié à la découverte de la
diversité des cultures musulmanes actuelles ». Malgré la volonté
d’apparaître comme complémentaire de l’IMA, la programmation de l’établissement
municipal recoupe en grande partie celle de son prédécesseur. La Cité nationale de l’immigration (CNHI),
développe elle aussi des programmes en lien avec les missions initiales de
l’IMA. Enfin, à Marseille, l’ouverture en 2013 du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM),
va elle aussi nécessiter des clarifications sur les missions de chacune des
institutions.
La
civilisation arabe plutôt que les arts de l’islam
Le musée de l’IMA a cherché à prendre en compte cette
nouvelle offre, en proposant un parcours davantage centré sur la civilisation
arabe que sur les arts de l’Islam, comme c’était le cas dans sa version
antérieure. C’est un premier effort dans la redéfinition des missions
prioritaires de l’IMA.
Toutefois, pour refonder la politique culturelle de
l’IMA, deux écueils paraissent devoir être évités. Le premier consiste à ne pas parler réellement du monde arabe
mais à se concentrer sur la question méditerranéenne. C’est la critique que
l’on peut faire à certaines expositions archéologiques, comme celle consacrée
aux Puniques. Le second consiste, pour toutes les meilleures raisons du monde,
à vouloir présenter une version irénique
des relations entre l’Occident et le monde arabe. Cas symptomatique,
l’exposition « Venise et l’orient », reléguant le récit de
l’affrontement séculaire de la Sérénissime et des Turcs au deuxième plan, leur
préférant largement les échanges artistiques, certes réels, mais se déroulant
dans un contexte conflictuel très peu évoqué. D’où une impression de manque de
sérieux, voire d’idéologie.
Au cœur
des relations avec le monde arabe
Ainsi, le patrimoine et les sujets esthétiques, qui
ont évidemment leur importance dans la prise de conscience d’une culture
partagée, ne doivent pas constituer des paravents empêchant d’aborder les sujets qui fondent aujourd’hui
le rapport entre la France et l’Europe d’une part, le monde arabe d’autre part.
Doivent être convoqués d’autres
discipline, notamment l’histoire, la sociologie et pourquoi pas la
philosophie et la théologie. Pour l’histoire,
il s’agit d’évoquer des sujets anciens mais surtout de se confronter aux sujets contemporains, avec des
spécialistes européens et arabes. Des expositions sur « Nasser et le
socialisme arabe », « la naissance du wahabisme », la Nahda, une
renaissance arabe », « Alger, histoire d’une ville » ou
« les islamologues français au XXe siècle » auraient toute leur place
à l’IMA et permettraient au public de réfléchir à des thématiques en prise avec
les débats du moment en les remplaçant dans un contexte plus général. Ce type
de thèmes peut évidemment se décliner selon les disciplines.
Une
nouvelle stratégie de programmation
Bien sûr, cela implique de rompre avec le cycle des grandes expositions. Mais on connaît les
risques d’un système de programmation fondé uniquement sur de l’événementiel.
Une année, le succès est au rendez-vous et l’on encaisse des recettes
suffisantes pour compenser des investissements toujours plus importants ;
une autre année, l’exposition attire moins de visiteurs et le déséquilibre
financier, structurel depuis des années, s’en trouve renforcé. Avec une
nouvelle programmation, on privilégierait des expositions de plus petit format, nécessitant moins de
financements, en réutilisant une partie de la scénographie d’une présentation à
l’autre. Il faudrait associer à leur conception l’ensemble des services de
l’IMA afin de renouer avec une équipe unie, soudée par le projet qu’elle porte.
Ces expositions doivent évidemment être complémentaires
du musée. Dans le cas contraire, elles se développeraient, comme c’est
le cas aujourd’hui, au détriment de ce dernier.
Une
vitrine des instituts français
Cette nouvelle programmation aurait aussi l’avantage
de renouer avec un public sans doute
plus fidèle que celui qui recherche avant tout l’événement et de pouvoir
l’intéresser à l’ensemble des autres volets de ce que propose l’IMA :
bibliothèque, musique, danse, cinéma, librairie… On peut espérer que des liens
de confiance se retisseraient avec les instituts culturels et avec les
universités.
On pourrait imaginer qu’en partenariat avec l’Institut Français, l’IMA devienne la vitrine
des instituts français dans les pays arabes, permettant une circulation des
programmations entre Paris et ces pays.
Enfin, à l’heure où l’IMA lance son antenne à Roubaix, il est urgent qu’elle puisse
coordonner toutes les institutions culturelles françaises qui sont liées avec
le monde arabe : musées, bibliothèques, services d’archives, collections
privées… Ainsi la mission essentielle
de l’Institut du monde arabe pourrait-elle être de participer à une meilleure
connaissance de ce monde tant auprès des vieux Gaulois que de la population
d’origine arabe vivant sur le sol de France. Une meilleur connaissance
réciproque pour un mieux vivre ensemble et un enrichissement réciproque dans le
respect de l’identité de chacun.
Institut éthique et politique Montalembert
JOL Press, 6 avril 2013