Nous allons à nouveau faire
un voyage dans le passé dimanche prochain, et cette fois-ci traiter d'un sujet
longtemps négligé par les historiens, puisque nous parlerons du rôle qu'a pu
jouer la Grande Mosquée de Paris pour protéger des Juifs sous l'Occupation ; nous
le ferons avec un journaliste qui a fait une enquête approfondie sur le sujet, Mohammed
Aissaoui. Ce sera un plaisir de le recevoir à Judaïques FM. D'abord, parce que
nous allons parler de son livre, "l'Etoile jaune et le croissant", publié
aux Editions Gallimard, c'est le premier ouvrage grand public évoquant
l'activité de la Grande Mosquée de Paris sous l'Occupation ; il est journaliste
au "Figaro Littéraire", et ce livre est le résultat d'un travail
d'investigation très difficile, 70 ans après les faits et alors que la plupart
des témoins sont décédés ; il a été d'une rigoureuse honnêteté, reconnaissant
que les preuves sont rares et alors qu'un film, "Les Hommes libres"
d'Ismaël Ferroukhi sorti en 2011 a eu tendance à enjoliver les faits, nous en
parlerons ; mais ensuite et surtout, c'est un plaisir de l'interviewer parce que,
lui qui est un Musulman français d'origine algérienne, a voulu répondre à tous
ceux qui, juifs comme musulmans, ne veulent absolument pas admettre que des
Maghrébins aient pu protéger ceux que le nazisme pourchassait. Il a eu le
courage d'écrire, en introduction : "Je ne suis pas naïf : l'antisémitisme
est la chose la mieux partagée au monde depuis la nuit des temps. Les Arabes et
les Musulmans y prennent largement leur part". Et ainsi, alors qu'une
histoire parfois censurée, parfois hagiographique, est enseignée de l'autre
côté de la Méditerranée, il évoque aussi dans son livre des réalités oubliées,
la légion SS musulmane, et la Brigade nord-africaine qui travailla avec la
Gestapo : mais des "Justes" musulmans au Maghreb et ailleurs ont
existé aussi, et il n'est pas normal que le Yad Vashem ne les ait pas encore
reconnus, de cela aussi nous parlerons.
Parmi les questions que je
poserai à Mohammed Aissaoui :
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Tout commence, en fait, par le témoignage
d'un certain Docteur Albert Assouline, qui a écrit en 1983 dans "L'Almanach
du combattant" que, lui comme 1.732 personnes, évadés, résistants et
surtout juifs ont bénéficié d'une cachette à la Mosquée. Et on s'aperçoit que
c'est à partir de son témoignage que sera réalisé le premier film, un
documentaire fait en 1991 par Derri Berkani, qui est un originaire d'Algérie
comme vous. Que penser de la fiabilité du témoignage de Monsieur Assouline ?
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Dans le film de Derri Berkani intervient
aussi un médecin musulman, le Docteur Ahmed Somia. Lui malheureusement est
décédé en 1994, la même année qu'Albert Assouline. Il travaillait à l'hôpital
franco-musulman de Bobigny. Il a dit que cet hôpital, qui dépendait de
l'Institut musulman de la Mosquée de Paris, était un site actif pour la
résistance et l'évasion, en particulier de Juifs originaires d'Afrique du Nord
qui auraient pu y retourner avec des faux papiers : est-ce qu'on est sûr, au
moins, de cela ? Votre livre évoque aussi une infirmière d'origine juive
marocaine, et là on est sûr qu'elle a été protégée, pourriez-vous en parler ?
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Vous avez fait des recherches approfondies
pour relater qui fut le Recteur Benghabrit ; documents retrouvés dans les
archives, découverte d'une biographie écrite par un Marocain ; vous avez
eu aussi conversation avec une de ses filles qu'il a eu sur le tard : de toute
votre enquête, j'ai retenu un personnage brillant, mondain, fin manœuvrier, au
fond ni résistant ni collaborateur : est-ce qu'on n'est pas très loin, finalement,
du rôle excellemment joué par Michaël Londasle dans le film romancé "les
Hommes libres" ?
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Il faut comprendre que c'étaient les
Séfarades originaires d'Afrique du Nord et vivant en région parisienne à
l'époque qui auraient pu, par leur patronyme, par leur connaissance de l'arabe et
par la circoncision partagée en Islam, se faire passer pour des Musulmans grâce
à l'appui de la Mosquée Jean Laloum, historien qui a écrit un article critique
du film d'Ismaël Ferroukhi dans "La revue des archives juives",
relève que tous les dossiers conservés dans les archives du sinistre
"Commissariat Général aux Questions Juives", ne parlent que de
conversions factices au Christianisme ; pire, vous avez trouvé le cas d'une
personne que la Mosquée a refusé de protéger et qui a failli mourir en
déportation : qu'en pensez-vous ?
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Le film "Les Hommes libres" est en
fait centré sur le personnage de Salim Hallali - de son vrai prénom Simon -
chanteur de musique orientale, qui a effectivement été protégé en étant admis à
se produire dans le café attenant à la Mosquée. Vous même comme Jean Laloum
avez découvert que sa sœur de 17 ans et son bébé de sept mois, ont été déportés
à Auschwitz, en 1943 : comment imaginer une protection oublieuse du reste de sa
famille ?
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Dans un article publié par Ethan Katz au
printemps 2012, dans le "Jewish Quaterly Review", l'auteur remarque
que l'histoire réelle de la Mosquée de Paris sous l'Occupation est devenue le
point de rencontre de débats contemporains : islamophobie, antisémitisme, "mémoire
sacrée", "victimisation concurrente" entre Juifs et Musulmans.
Arrivera-t-on un jour à dépasser ces anachronismes, à ne dire que la vérité et
sans l'enjoliver ou la noircir ?
Beaucoup de questions, pour un livre qui se lit vraiment
comme un roman policier ... j'espère donc que vous serez très nombreux à
l'écoute !
J.C